BALOC

 

En 1313, ce village médiéval est possédé, pour moitié, par le roi de France et comte de Bigorre Louis X, dit le Hutin, et pour l'autre moitié, par Narbone de Baulat. Ce co-seigneur féminin est issu de la famille de Baulat, en Rivière-Basse. Son frère, Guillaume-Arnaud de Baulat, damoiseau, acquitte 15 livres Morlaas de redevance, en 1300.

 

On présume que le quartier de Beulat, à Artagnan, est son ancien fief. Les seigneurs de Baulat, Préchac et Jû firent partie de la noblesse du comté d'Armagnac, aux XIVe et XVe siècle.

 

Aujourd'hui, ce village de Baulat est devenu une section de la commune de Ju-Belloc, dans le canton de Plaisance du Gers. Cette commune regroupe donc Baulat, Jû et Belloc. Narbone de Baulat habite à Baloc dans une demeure dont on ne connait pas l'emplacement. En sa qualité de co-seigneur (domina), elle s'acquitte annuellement envers le Comte, son suzerain, d'une redevance de 280 sols Morlaas au titre de la Queste et de l'Albergue (4), 20 sols Morlaas pour le Carnal et son casau. Cette somme est due à la Saint-Jean-Baptiste. On peut y ajouter 60 sols Morlaas pour la Quéride (4) au début d'août, 30 sols pour la Formentade (4), au 15 août, 30 sols Morlaas, le 8 septembre, pour la fête de la Nativité de la Vierge Marie, 60 sols Morlaas pour l'Arciut (4) des terres, à la Noël, 11 sols Morlaas et 11 mesures d'avoine, ancienne mesure. Au total 491 sols Morlaas et 11 mesures d'avoine.

Narbone de Baulat possède, dans le premier quart du XIVe siècle (5), un moulin sur l'Echez et un terroir sur lequel travaillent 54 familles. On peut supposer qu'elle est veuve à ce moment-là puisque le nom de son mari n'est pas mentionné sur les documents. Une église paroissiale, au patronage de Saint-Barthélémy, est située en bordure de la route de Vic-en-Bigorre à Maubourguet. L'histoire de ce quartier nord mériterait un long développement sur son destin politique, économique et social depuis le XIVe siècle à la Révolution de 1789. Nous irons à l'essentiel pour ce qui concerne le "jumelage" de ce village avec son puissant voisin. Trois raisons sont avancées par des écrits anciens comme prémices d'une cohabitation future :

 

- L'opulence et la forte démographie vicquoise.
- Les mauvais traitements qu'infligent aux habitants de Baloc le seigneur de Baulat et ses enfants, notamment le pillage des volailles des habitants de Vic-en-Bigorre.
- La désertion des Baloquins afin de ne pas acquitter les redevances seigneuriales en nature d’avoine, froment et volaille.

 

Or, nous semble-t-il, ces considérations ne semblent nullement représenter les vrais motifs du rattachement de Baloc à Vic-en-Bigorre. Trois causes pourraient être à l'origine de cette décision :

1°) Les textes du début du XIVe siècle ne font aucune mention d'un possible rapprochement entre les deux communautés voisines. Au contraire, lorsque Bernard de Cucuron (quartier sud de Maubourguet limitrophe de Baloc) veut échanger Siarrouy, dont il est seigneur, avec Baloc dont le seigneur dominant est Philippe VI de Valois, Roi de France, les habitants de Baloc refusent énergiquement et, par le paiement d'une certaine somme d'argent, demeurent dans le domaine royal (6) tout en préservant leur indépendance. Cet échange avorté, en 1342, est pour le seigneur de Cucuron une tentative de regrouper ses possessions. En outre, il est co-seigneur de Sarriac. En 1363, apparait une demande d'union (supplication) avec Vic-en-Bigorre. Pourquoi cette communauté et non pas Liac, paroisse naturelle, Lafitole, Maubourguet ou Nouilhan avec qui on partage l'immense bois du Marmajou peuplé de loups ? Artagnan ou Gensac, voisins aux mêmes cultures en bordure de l'Adour ? Pour une raison évidente : la survie.

2°) La peste noire, ce quatrième cavalier de l'Apocalypse, vient du microbe de Yersen. Transmise par les rats et les puces, elle apparaît en octobre 1347 lorsque les bâteaux accostent à Messine et déchargent les corps de marins morts ou mourant de ce fléau. Après avoir ravagé 23 millions d'hommes en Orient, elle fait, en quelques mois, 25 millions de morts en Occident, avant de disparaitre comme elle est venue, fatiguée de ses propres ravages. Cette hécatombe se traduit dans notre comté par une population décimée à 40%. La famine est partout, la paroisse de Bordun (quartier de Lafitole) disparait, les villages de Gensac, Florence (aujourd'hui quartier de Sarriac), Liac sont désertés. Dans ce contexte, pourquoi le terroir de Baloc aurait-il été épargné ?

3°) Dans la deuxième moitié du XIVe siècle, une nouvelle situation apparaît. La population des deux communes Baloc et Vic-en-Bigorre est fortement diminuée; les terres des disparus restent en friches, faute de bras. C'est un problème économique pour les Baloquins. La solution par le jumelage germe dans les esprits, largement facilitée par la proximité d'une parenté établie à Vic-en-Bigorre. Ce point de vue d'ordre familial mérite réflexion. En effet, les familles Casabone, Casa Dauant, Ducasse, Gourgue, Junca, Lalanne, Laforcade, Moret, Prat, Saint-Martin, etc. ont une famille sur le terroir vicquois. Les Pomaros, Pujo, Magistro, Du Pont, Sanous, sont aisés, ils deviendront des notables et se partageront le territoire en indivision. Les Baloquins de 1477 sont responsables collectivement des redevances déclarées par Baloc.

 

Avant le fléau de 1348, le terroir vicquois est relativement prospère mais trop peuplé. Aussi le bois du Marmajou et la terre de culture vacante représentent une possiblité d'expansion considérable. Après la crise et à cause de la chute démographique, la nécessité d'un regroupement, pour travailler des parcelles plus nombreuses, apparaît peu à peu aux Baloquins qui choisissent cette solution de "raison" avec beaucoup de circonspection. L'histoire postérieure à cette période le prouve amplement : le désir de sauvegarder leur identité, la reproduction des douze Baloquins principaux sur les murs de la chapelle Saint-Martin, au nord de l'église paroissiale Saint-Martin, le dénombrement particulier de leur village exigé en 1536, les querelles, les procès intentés aux vicquois devant leurs ingérences répétées, le cimetière réservé, les droits de places et baloquiages, les pratiques religieuses qui se perpétuent à Baloc, tous ces faits nous rappellent le côté "contraint et forcé" de ce mariage communal.

 

C'est probablement le 19 juillet 1363, à l'occasion d'une cérémonie de prestation du serment de fidélité par les consuls des grandes villes de Bigorre : Tarbes, Bagnères, Vic-en-Bigorre, Lourdes, Rabastens et Ibos à Edouard IV dit le Prince Noir, Prince d'Aquitaine et Galles, Duc de Cornouaille, fils ainé d'Edouard III, Roi d'Angleterre, que la demande de jumelage est faite par Pierre-Arnaut Descaunetz, consul de Vic-en-Bigorre. Celà se passe à Bordeaux en l'église Saint-André.

 

On peut s'étonner de l'irruption de la cour d'Angleterre dans l'histoire de la seigneurie de Baloc. L'interminable procès de Bigorre qui aura pour conséquences la confiscation de l'Aquitaine et la mise sous séquestre du comté de Bigorre - 1290-1425 - par Philippe IV le Bel, explique le contexte politique de cette affaire. A cette époque, la rivalité des Capétiens et des Plantagenets est extrêment vive. Les comtes de Bigorre se succèdent portant leur hommage tantôt au Roi de France, tantôt au Roi d'Angleterre. On se dirige vers un armistice lorsque la défaite de Philippe IV de Valois, à Crécy (1346), aggrave le climat des relations politiques entre les deux pays. Jean II le Bon, fils de Philippe VI, est vaincu à Poitiers (1356), pris en otage et relaché contre une rançon de 3 millions d'écus d'or, en 1360. Le traité de Brétigny reconnait les droits anglais sur la Guyenne et la Bigorre qui devient à nouveau possession anglaise.

 

Le 12 aout 1361, à Vincennes, le roi Jean demande au sire de Bazillac de remettre aux Anglais le comté de Bigorre. En 1370, le duc d'Anjou, frère de Charles V, vient en compagnie du chevalier Bertrand Du Guesclin reconquérir l'Aquitaine et délivrer la Bigorre. Au mois de juillet, Vic-en-Bigorre est “libéré”. Jusqu'à cette date, Baloc appartient au seigneur de Baulat dont on ne connait pas le nom... et au roi d'Angleterre. C'est probablement pour toutes ces raisons que la demande de réunion des deux "universités(communautés) demandée par le consul de Vic-en-Bigorre, le 19 juillet 1363, recevra une réponse positive du prince de Galles, de passage à Tarbes, le 20 novembre 1367. On peut dater de cette année-là, "l'union" de Baloc à Vic-en-Bigorre.

 

Notes :

 

(4) Queste ou Quete : redevance due annuellement au Comte de Bigorre. A l'origine payée par les serfs (questaus).

 

Carnal : Droit de saisie du bétail en paissance sur les terres seigneurales. Ce privilège féodal du seigneur de Baloc, acquitté par tous les habitants, est reversé, en partie, à son suzerain le Comte de Bigorre, représentant du Roi d'Angleterre.

 

Albergue ou Arciut : Droit de gîte dû au Comte. A l'origine droit de visite et d'hébergement dû par les abbés laïques à leur évêque.

 

Quéride : de quéréla : plainte, demande portée en justice. Redevance de nature judiciaire.

 

Formentade : A l'origine, redevance en nature de froment (blé), portant sur les terres en friches (ermes) comme sur les terres cultivées.

 

(5) Plan cadatral 1808 - Section Al - N° 120 - Eglise de Baloc. Livre terrier de 1631 - Folios 81-81-197-875 - Eglise de Baloc. L'emplacement du moulin sur l'Echez était à proximité de l'église Saint-Barthélémy.

 

(6) Archives Nationales : Cote JJ.74-N° 187-435 - Folios 109-253. Royallieu- Septembre 1342 (annulation de l'échange) - Juin 1343 -Montargis (révocation de l'échange).