Pourquoi ne pas replanter un Arbre de la Liberté

à Vic-en-Bigorre ?

 

Sous l’Ancien Régime, la plantation d’un arbre est toujours le signe d’une naissance princière, d’une personnalité à honorer, d’un renouveau saisonnier à célébrer ou de l’arrivée dans la commune d’un nouveau “besi” ou voisin à marquer.


L’arbre, ce symbole vivant

L’ancien royaume de Navarre se couvre d’ormeaux à la naissance d’Henri IV. Cet arbre apprécié pour son extrême longévité, doit perpétuer la mémoire de ce grand jour. En 1608, l’excellent ministre Sully donne l’ordre de planter un de ces arbres, dans toutes les communes du royaume, pour servir de point de repère à la carte de France dressée par l’ingénieur Cassini. Ainsi, symbolise-t-il le cœur de la cité, son centre, et, c’est bien connu, toutes les forces antagonistes ou contradictoires s’annulent au centre. Trois siècles plus tard, ces ormes majestueux, à la végétation superbe, ornaient encore, pour la plupart, le centre des places communales. Beaucoup plus périrent par la stupidité de l’homme que de vieillesse. Dans l’inconscient populaire, l’essence importe peu, acacia, marronnier, châtaignier, tilleul (1) platane, hêtre, chêne, peuplier, érable, enfin, tous les arbres de “chez nous” font aussi bien l’affaire. Ce qui compte, c’est la continuité des traditions communales par la présence de l’arbre, cet arbitre du temps. 

 

Et puis il y a le mai. Vert et enrubanné, on le plantait naguère devant l’entrée des demeures de nos conseillers municipaux, au premier jour de mai. Le mois de la déesse Maïa, pléiade, fille d’Atlas et de Pléione, épouse de Jupiter et mère de Mercure, marque le renouveau printanier et la fécondité retrouvée. En Bigorre, la mayade se traduit par un privilège prohibitif que s’arroge le Comte sur ses sujets, celui d’être le seul à pouvoir vendre son vin durant ce mois-là. Mais, c’est surtout, tradition oblige, l’enfoncement dans la terre d’une grande perche peinte ou d’un mât couronné ou bien encore, d’un arbre dont on a seulement conservé le bouquet terminal.

L’arbre de nos libertés

Avec la Révolution Française, la symbolique des mais, “ces arbres sans racines” se transforme pour signifier la Liberté, toutes les libertés. S’il ne résiste pas toujours à une plantation hors saison, l’arbre de la liberté s’enracine fortement dans le terreau de la jeune République. Avec le rattachement à la coutume des mais, les composantes du mythe sont bien en place. Ici, l’arbre est vrai, avec racines, pour la durée (2). Une légère préférence pour le chêne, emblème de la force par excellence, à la croissance un peu trop lente, peut-être, souvent remplacé par le peuplier dont l’étymologie commune avec le mot peuple et à la poussée plus rapide, s’implante dans l’imaginaire républicain. De plus, l’engagement, pour la Révolution, du mouvement des campagnes et celui des fédérations, béni par un clergé progressiste, complète le symbole triplicitaire : Liberté ! Égalité ! Fraternité ! Enfin, la filiation évangélique de la religion chrétienne et des idées révolutionnaires, répétée, martelée, envahit les consciences.

 

L’arbre de cette nouvelle liberté n’est plus tellement éloigné de l’arbre du paradis terrestre ployant, lui, sous le poids de la faute originelle. Dans les villes et les villages, l’autel de la Patrie est proche de l’arbre de la liberté et la sacralisation pérennise désormais le récit mythique. Du premier arbre de Gahard, en Ille-et-Vilaine, attesté le 16 février 1790, à l’année 1794, soixante mille arbres sont plantés sur le sol national, estime l’abbé Grégoire. Dans les documents, l’expression “arbre de la Liberté” n’apparaît qu’en 1792. La Convention Nationale s’intéresse à ces arbres, à la fin de 1793, et charge le sous-comité d’agriculture d’élaborer un texte didactique et pratique sur “les arbres de la Liberté”.

Les arbres de la Bigorre

À Anères, commune de Saint-Laurent, c’est sous la ramure protectrice de cet emblème que l’on baptise les nouveau-nés ; à Baudéan, on choisit un chêne excroissant devant la porte de la maison commune, sur lequel est placé le bonnet de la liberté qui, par la suite, sera reconnu pour l’arbre de la liberté. À Séméac, le 2 mars 1794, les garçons ou jeunes citoyens ont planté l’arbre de la liberté devant la maison commune, assez près du vénérable tilleul qui se trouve devant l’église, depuis le XVIe siècle. À Soréac, commune de Pouyastruc, les déclarations de naissance, mariage et décès se portent devant ou sous l’arbre de la liberté. À Saint-Lézer comme à Vic-en-Bigorre, l’affichage des documents de procédure se fait à “l’arbre de la Liberté”. À Oursbelille, l’arbre de la liberté est un orme, il est remplacé par une croix en pierre, le 3 mars 1830. À Saint-Savin, les conquêtes sur les ennemis de la République, les rapports du Comité du Salut Public, de Maximilien Robespierre, sont annoncés aux citoyens et citoyennes mandés de se trouver aux heures fixées au pied des arbres de la liberté et de la fraternité.

 

Pour la fête de l’Être Suprême, on est prié de se rendre au pied de l’arbre muni d’un rameau, d’y entonner chants civiques et hymnes après avoir fait le tour de la place et, dans le temple de la Raison, écouter un discours sur la vraie existence de l’Être Suprême, sa bonté pour la République, acclamer la gloire de la République, prier pour fortifier le cœur des républicains et encourager nos défenseurs, afin de détruire les tyrans.

 

D’autres plantations


La deuxième période de plantation se situe en 1830, à l’occasion des “Trois Glorieuses” (3) et, le 2 mars 1848, place des Vosges, à Paris, Victor Hugo rend un hommage plein d’humour et de fougue au noble végétal : “C’est un beau et vrai symbole pour la liberté qu’un arbre ! La liberté a ses racines dans le cœur de la terre ; comme l’arbre elle s’élève et déploie ses rameaux dans le ciel ; comme l’arbre sans cesse elle couvre les générations de son ombre. Le premier arbre de la liberté a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu même sur le Golgotha. Le premier arbre de la liberté, c’est cette croix sur laquelle Jésus Christ s’est offert en sacrifice pour la liberté, l’égalité et la fraternité du genre humain” (acclamations). Les premiers arbres ne franchissent pas le coup d’état du 2 décembre 1851. Ils sont abattus comme attributs révolutionnaires. Puis viennent le “temps des cerises” et la cruelle désillusion de 1871. La troisième vague de 1889 est une vaguelette, la naissance astrologique du printemps, le triomphe de la lumière sur les ténèbres et la libération des esprits sur l’obscurantisme sont bien rappelés mais la symbolique chrétienne est perdue.

 

Notre siècle croit bon de commémorer, devant l’arbre de la paix, la victoire et la libération de l’Alsace et la Lorraine, “arrachées à l’esclavage allemand” par une plantation, le 11 novembre 1920, deuxième anniversaire de l’armistice imposée à nos ennemis. Sous la férule de M. Boué, maire, un chêne est planté, à Tarbes, place de la Liberté, face au château Montagnan. Réitérée en 1948, sur la place Maubourguet, une nouvelle plantation marque la libération de la ville. À Vic-en-Bigorre, la même année, un arbre est planté, en bordure du canal, à l’angle du pont de l’Encan, pour commémorer le centenaire de la Révolution de 1848. Un siècle plus tôt, il fut planté sur la place Nationale (République). Abattu, en 1851, il est replanté, en 1878, au milieu de la place du Commerce (Gambetta). Terrassé par la maladie, il disparaît, remplacé par la statue “Revanche”, en 1895.

 

La République de 1989, une et indivisible, a voulu retrouver l’esprit de 1789 et réaffirmer les libertés fondamentales du citoyen à l’aide d’une affiche dessinée par Folon. Un arbre, symbole de l’espoir, de la fécondité latente, pleine de promesses pour la nation, surmonté de trois colombes tricolores, pour la paix ardemment souhaitée, au-dessus desquelles on peut lire : “21 mars 1989 - 36000 arbres pour la liberté”.

 

Index

(1) Le tilleul semble être une essence à privilégier en raison de sa longévité exceptionnelle - mille ans, parfois - sa qualité esthétique et sa trentaine d’espèces, belle diversité variétale.

 

(2) Mesure qui sera officialisée par l’arrêté du 29 fructidor an V - 29 septembre 1797 - qui enjoint de “faire planter les arbres de la Liberté, mais cette fois avec des racines car la Liberté et la République viennent d’être assurées d’une manière stable et durable”.

 

(3) Les journées révolutionnaires des 27, 28 et 29 juillet détrônèrent Charles X et installèrent la Monarchie de Juillet.