UN CURE SELON LA CONSTITUTION

Docteur en théologie et vicaire de Campan où il est né, le 7 mai 1757, Antoine Darrabiat est nommé curé à Vic-en-Bigorre en remplacement du curé Jacques Rivière, monté à Paris pour représenter le Clergé bigourdan aux États Généraux (1).

 

Le 1er juillet 1791, le nouveau curé jure devant la "Constitution civile du Clergé" et exercera sa "fonction" jusqu'au 20 novembre 1793. Déjà, en novembre 1792, le Conseil général l'avait choisi pour son président. L'assemblée bigourdane a des sentiments fédéralistes et ses sympathies régionalistes la rapproche des Girondins regroupés au sein de la "Commission populaire de Salut public" de Bordeaux. Suite à l'affrontement entre Girondins et Montagnards du mois d'avril 1793, le centralisme jacobin et parisien a décidé d'éradiquer le "poison" du fédéralisme, en France. Darrabiat fait partie des dix administrateurs du Conseil de l'assemblée départementale qui envoient, en juin 1793, une "adresse" à la "Commission populaire du Salut public du département de la Gironde" pour la soutenir dans cette "épreuve". Erreur gravissime.

 

Nommé le 20 juin 1793, Jean-Baptiste Monestier du Puy-de-Dôme est délégué près l'armée des Pyrénées-Occidentales avec autorité sur les départements des Basses-Pyrénées, Hautes-Pyrénées, Gers et Landes. Il doit se prononcer sur l'attitude des administrateurs qui ont refusé la translation à la prison de Mont-de-Marsan de l'ex-ministre Dejoly, avocat de Montpellier, retiré à Bagnères et Darrieux, son secrétaire, de Tarbes.

 

Après moultes hésitations et palabres avec les autres membres de l'assemblée départementale, Monestier, venu spécialement de Bayonne à Tarbes, traduit les sept du Conseil girondiste tarbais, pour explications, devant la barre de la Convention nationale. Les trois autres administrateurs dégagent suffisamment leur responsabilité pour être complètement mis hors de cause.

 

Dans cette affaire, l'ancien curé de Vic-en-Bigorre commit l'erreur d'arriver en retard à la réunion du Directoire du département, de s'asseoir, de reprendre la présidence de la réunion et… d'entériner, bien légèrement, le refus du Département d'exécuter les ordres des représentants de l'Assemblée nationale !

 

Le 2 août, Monestier accuse Darrabiat et ses compagnons de manquer de patriotisme. Mais il a sous-estimé l'action puissante de leur compatriote tarbais Bertrand Barére et lourdais, Jean-Pierre Piqué, auprès du Comité de Salut Public, dont le premier est un membre influent. Le 7 août, la Convention renvoie à leurs "fonctions" les sept Bigourdans : Darrabiat, Dauphole, Ozun, Gertoux, Sabail, Pigneguy et Desbets, trop heureux de s'en tirer à si bon compte. Monestier destitue les administrateurs et les menace. Antoine Darrabiat donne prudemment sa démission et se cache… à Tarbes. 

 

Le 20 novembre 1793, on ferme l'église Saint-Martin de Vic-en-Bigorre qui devient, au gré des événements : "maison nationale, ci-devant église", "temple décadaire" et "temple de la raison". Le lendemain, Darrabiat se "déprêtrise" et déclare : "Citoyens, mon acceptation de la cure de Vic fut l'effet de mon dévouement à la chose publique et un acte de déférence pour le vœu de cette municipalité, de cette commune. J'entrai en possession d'un emploi constitutionnel le jour où l'aristocratie osa montrer de coupables espérances…". Il remet la clé du presbytère qu'il vient de libérer et on enregistre son départ : "Considérant que l'esprit de la philosophie et de la raison a fait tant de progrès qu'il demeure reconnu que les prêtres ne sont nullement nécessaires dans une République…".

 

Après les événements du 9 thermidor an II, Darrabiat est "élargi" et revient à Vic-en-Bigorre. Auguste Izoard, nouveau représentant du peuple, prend un arrêté, le 27 mai 1795, en faveur des girondistes "bons républicains", qui rétablit Darrabiat au Directoire du Conseil général du département. À ce titre, il siège au département comme commissaire du canton de Vic-en-Bigorre. Mais lorsque Brice Gertoux, commissaire central, démissionne et qu'un arrêté, du 2 février 1798, le désigne pour le remplacer, il refuse. Ah, mais, c'est qu'il ne veut plus revivre l'épisode d'août 1793 ! 

 

Et c'est ainsi que nous retrouvons l'ex-curé de Vic-en-Bigorre, adjoint au maire Combessies, quelques jours plus tard. Le 26 juillet 1798, il se marie avec Madeleine Lataste, riche propriétaire du domaine de Saint-Aunis. Il coulera des jours paisibles dans le manoir vicquois, jusqu'au 16 octobre 1816, où il quittera cette vallée de larmes.

 

(1) "Vic-Bigorre et son Patrimoine" - Claude Larronde - Société Académique des H.P - 1998.