Un hiver rigoureux

L’hiver de 1867 fut rude. Le mois de janvier commença par des orages de grêle et la neige se mit à tomber en abondance les 12, 13 et 14. Au troisième jour, à midi, la couche atteignait 16 cm. Le pavillon central craquait sous 3000 k de neige et les arbalétriers fléchissaient sous une pression de 5 k/m2 entraînant l’affaissement des pannes solidaires et de la couverture en zinc ondulé, agrafée sur celles-ci. Le conseil municipal, réuni à la hâte, constatait des vices dans la construction et décidait de former une instance devant le Conseil de préfecture contre l’architecte et l’entrepreneur ; à eux de débattre mutuellement la question de leur responsabilité. Un procès retentissant commençait.

Deuxième jugement du Conseil d’État

Prononcée le 29 novembre 1869, cette deuxième sentence prit la forme de notes et conclusions, n°42240, pour les frères Daney, contre Jean-Jacques Latour et la commune de Vic-en-Bigorre.


Nul doute n’est possible, c’est la faiblesse des dimensions des fermes ou arbalétriers employés qui est la cause de l’affaissement de la halle. Ils pouvaient à peine supporter une pression de 1400 k. Les dimensions, telles qu’elles ont été prescrites par l’architecte, ont-elles été fidèlement observées par l’entrepreneur ? Nul doute, non plus, à cet égard. Jean-Jacques Latour ne le conteste pas et les experts disent : “Il est juste de dire que le travail est bien exécuté !"


Aucun vice de construction à reprocher à l’entrepreneur mais erreur dans les prévisions de l’architecte et mauvaise conception du plan. Conséquence inéluctable de ce premier verdict, l’absence de responsabilité de l’entrepreneur vis-à-vis de la commune de Vic-en-Bigorre est établie. “En effet, il est de principe incontesté et incontestable que les vices du plan sont directement et immédiatement imputables à l’architecte, que lui seul en supporte les conséquences”.


La suite des notes et conclusions rejette l’avis des experts de Tarbes sur l’insuffisance du recouvrement des feuilles de zinc qui auraient provoqué des gouttières. Est-ce que ces gouttières ont pu faire fléchir les fermes, briser les entretoises, défoncer les fers ? L’argument des experts est balayé par la conclusion. D’ailleurs, toutes malfaçons étrangères à l’affaissement sont étrangères au procès et donc frappées de nullité.


Revenons au point central de l’affaire : la faiblesse des arbalétriers. Jean-Jacques Latour fait grief à messieurs Daney d’avoir abusé de sa confiance : “De lui avoir permis de croire qu’ils avaient eux-mêmes fait des épreuves sur les fermes à employer”. M. Daney rétorque qu’il savait que les dimensions étaient trop faibles, qu’il le savait par sa propre expérience, qu’il le savait par la comparaison des dimensions prescrites par M. Latour avec les dimensions des fermes des halles de Paris. Aucune méprise n’était possible. Quelles étaient ces dimensions ?

Paris-Vic

Portée des arbalétriers………… 12,40 m-13 m
Écartement……………………….5,96 m-6,30 m
Poids total pour l’arbalétrier…. 1360 k-219 k


Jean-Jacques Latour dira :

Mon intention était de voir une ferme finie et essayée pour, en cas d’insuffisance, prescrire de nouvelles dimensions. Je suis allé à Bordeaux, le 5 octobre 1860, l’expérience ne put être concluante, la ferme n’était point finie. Je chargeai M. Daney de me prévenir dès qu’une ferme serait finie. Il ne m’a pas prévenu et son silence m’a conduit à croire que l’épreuve avait été faite et que la ferme avait résisté. Je n’ai plus insisté sur les épreuves, vu l’aveugle confiance que m’inspirait la maison Daney, spéciale pour la construction métallique”.