L'ELAN PATRIOTIQUE
Edmond Desca - 1855 - 1918
Un Conseil municipal bienveillant
L’envoi d’« On veille » au Salon des Artistes Français de 1885, fait sensation. La comparaison avec le célèbre Jean-Baptiste Carpeaux est faite et cet ensemble allégorique est accueilli avec enthousiasme. Il est vrai que la plaie de la défaite de 1870 est toujours ouverte et saigne encore.
Né à Vic-en-Bigorre, le 16 novembre 1855, Edmond Desca s’exprime magnifiquement dans cette pièce d’inspiration historique dont le Conservateur du Musée d’Orsay (1) adopte la description d’un connaisseur : « Un observateur attentif croit reconnaître la double race
d’où est sorti le peuple français : le Germain venu du nord, le Gaulois venu du midi, un aspect moins martial et plus fin fondu dans le creuset mystérieux d’où a jailli notre précieuse et
indestructible unité nationale ».
Le 14 juin 1885, le Conseil municipal de Joseph Fitte adresse à l’artiste ses félicitations pour la médaille de 1re classe qu’il a obtenue au Salon et engage les premières démarches auprès du Ministre des Beaux-Arts et de l’Instruction Publique pour acquérir cette œuvre. L’artiste vicquois a besoin de ces commandes pour vivre et exprimer sa puissance créatrice.
En 1883, il a sculpté « L’Ouragan » acheté par la ville de Tarbes dont le maire, Vincent Lupau, est un fervent supporter de tous les créateurs bigourdans. Cette œuvre lui a assuré la notoriété. En 1887, « Paix et fécondité », un ensemble qui exalte la maternité, en marbre blanc de Carrare, n’est pas comprise par le grand public. Il la propose à sa ville natale pour 20000 F payables en quatre ans. L’État accepte de participer pour 5000 F. La municipalité vicquoise lance une souscription publique qui ne récolte que 5000 F. Le 3 novembre 1887, la mort dans l’âme, le Conseil doit renoncer à cette œuvre mais passe commande d’une nouvelle pièce, en bronze, intitulée « Revanche ». Le mois suivant, Edmond Desca remercie chaleureusement sa ville. Cette création consacre la maîtrise de l’artiste. La force et la colère caractérisent l’athlète Desca. L’acier des muscles et du caractère emplit la majeure partie de son œuvre d’énergie et de vérité. Pour lui, la sculpture est avant tout un geste de la main. Il aime manier l’argile, ses bronzes soulignent un grand sens naturaliste et ses marbres gardent la fluidité d’un modèle pétri.
Au mois de décembre 1888, le Ministre accorde une subvention de 2000 F pour le bronze. L’artiste présente le marbre d’« On veille » et le modèle en plâtre de « Revanche » au Salon des Beaux-Arts, en 1889, l’année de l’Exposition universelle. Une médaille d’or récompense ces deux sculptures qui sourdent de la même veine résolument héroïque : Deux Gaulois équipés de piques, d’une fronde et de grosses pierres et un homme primitif, armé d’un vigoureux bâton, tous trois défendant la mère Patrie contre l’envahisseur. Le statuaire déclare : « Revanche est la plus empreinte de ce caractère puissant, abrupt et sauvage qui est le fond de ma nature ».
Une œuvre patriotique
Le 2 octobre 1889, le Conseil municipal décide de passer commande de « Revanche ». Quelques conseillers vicquois vont à Paris pour découvrir cet homme menaçant, aux muscles saillants et à l’expression farouche. Leur réaction est partagée entre la reconnaissance des valeurs artistique et esthétique de cette œuvre qui sont indéniables et la « froideur » qu’ils décèlent dans le regard et l’attitude agressive du personnage. Pour tout dire, ils craignent que cette « froideur » rebute leurs compatriotes. Joseph Fitte écrit au Directeur des Beaux-Arts pour l’informer du souhait de la ville d’échanger cette statue contre « On veille » jugée beaucoup plus « chaleureuse ». Mais « Revanche » est commandée et va bientôt être livrée. Le comité de seize membres tente de s’opposer à la livraison. Desca se fâche et met l’affaire devant le Tribunal d’instance de Tarbes qui a beau jeu de réfuter l’argument spécieux avancé par le comité pour son refus : « La statue ne porte pas l’empreinte du sentiment que le mot revanche réveille dans les âmes et n’en symbolise pas l’idée ».
Le 23 juin 1890, le Tribunal rétorque en affirmant que cette œuvre a subi, avec succès, l’épreuve du public à l’Exposition universelle et qu’elle résiste à toutes critiques d’un point de vue artistique. Et de condamner les membres du comité aux frais de transport et de magasinage de la statue.
Au mois d’août 1891, la sculpture débarque en gare de Vic-en-Bigorre. Elle coûte 12000 F. L’effet
tant redouté n’apparaît pas. Au contraire, l’étude anatomique du sujet et le fini de l’exécution surprennent agréablement les connaisseurs et l’œuvre est rapidement acceptée par la population
vicquoise qui s’identifie parfaitement à cet inquiétant irréductible. Le comité est confus de son jugement erroné. Puis, le temps passe, occupé qu’on est par la restauration d’une ville
passablement délabrée jusqu’à l’arrivée de Joseph Fitte. Nommé maire de Vic-en-Bigorre par Jules Grévy, le 19 février 1881, puis constamment réélu, depuis 1882, où une nouvelle loi introduit
l’élection quadriennale des maires, il s’attache à la modernisation de la ville dans tous les domaines : urbanistique, économique et social, éducationnel et
culturel.
Le 25 février 1894, le Ministre des Beaux-Arts et de l’Instruction Publique accorde 1500 F à Vic-en-Bigorre pour ériger la statue «
Revanche ». Il convient, à présent, de donner un support digne du « chef-d’œuvre », le qualificatif a été adopté d’emblée ! Joseph Fitte propose d’en faire un attribut héroïque des
sacrifices consentis et du sang versé par les Bigourdans du canton, face à l’occupant prussien, et de noter sur le piédestal les noms des combattants morts pour la Patrie, en 1870-1871. Cette
proposition émane de deux motivations personnelles : patriotique et électorale. Médecin vétérinaire issu de l’Ecole de Maison Alfort, le maire de Vic-en-Bigorre a fait son service militaire au
régiment de cavalerie de Rambouillet et a combattu, en 1870-1871, dans l’Armée de Paris. Il est aussi l’élu du Conseil d’arrondissement, depuis le 19 février 1893, et se présentera à l’élection du
Conseil général du canton de Vic-en-Bigorre, le 28 juillet 1896, où il triomphera.
Sur les indications de l’architecte tarbais Georges Larrieu, l’adjudication du piédestal a lieu, le 16 juin 1895, et son exécution est confiée à Jean-Marie Mals, sculpteur de la place Marcadieu, à
Tarbes. Le coût du socle est de 1450 F, donc couvert par l’Etat. Le 18 juillet, le socle de bois est remplacé par un bloc, en marbre d’Arudy, avec l'écusson de la Ville, et accueille les défenseurs
de la patrie que sont Louis Laffaye, né à Vic-en-Bigorre, tué 16 août 1870 à Gravelotte - Moselle, Jean-Marie Labat, né à Vic-en-Bigorre, décédé le 11 janvier 1871 à Yvré-l’Evêque - Sarthe,
Jean-Jacques Villeneuve, né à Talazac, décédé à Paris, Jean-Marie Commères, né à Caixon, décédé le 24 janvier 1871 à Prauthoy - Haute-Marne, Louis Ranson, né à Camalès, décédé le 18 décembre 1870 à
Nuits - Yonne et Auguste Duffar, né à Artagnan, décédé le 18 août 1870 à Saint-Privat-la-Montagne - Moselle.
Planté au milieu de la place Gambetta, l’homme primitif regarde fièrement la cime des platanes du Sendreix, jusqu’en janvier 1950,
où l’ornement végétal disparaît. À l’automne, le vigilant gardien y prend place, solidement dressé sur ses jambes robustes, toujours prêt à défendre nos libertés (2).
Le culte des Morts
Seul Monument aux Morts du département des Hautes-Pyrénées dédié aux victimes de la guerre de 1870-1871, il est pour Edmond Desca un objet de grande fierté patriotique (3). Émile Latu, né à Vic-en-Bigorre, tué au combat de Thoum-Safrou - Maroc - le 24 novembre 1907, est la victime d’une politique d’expansion coloniale jugée nécessaire par le gouvernement de Jules Ferry. Une décision unanime de l’assemblée communale fait graver le nom du spahi sur le socle de « Revanche », mausolée élevé par la ville « en l’honneur de ceux qui savent mourir pour la patrie » (4). Les funérailles sont imposantes. Au cimetière, Théos Salles, premier maire républicain, prononce une allocution émue. Le député maire Joseph Fitte se fait le porte-parole des sentiments de la communauté vicquoise : « Latu, au nom de la Ville, au nom de cette foule angoissée et frémissante, venue de tous les points du département pour honorer ta vaillance et ta fin héroïque, je t’adresse le dernier adieu ».
Le Poilu sur la place de la République - 1925
collection Claude Larronde
Notes :
(1) « Les Gaulois sculptés » (1850-1914) - Anne Pingeot - Actes du colloque international de Clermont-Ferrand du 23-25 juin 1980.