ontaine des Quatre Vallées

Tous les Bigourdans connaissent la fontaine des Quatre-Vallées, bien que son véritable nom soit : « Fontaine Duvignau-Bousigues » (1).

 

L'origine de cette œuvre monumentale est un legs généreux de madame Anne Félicité Bousigues, veuve Duvignau, décédée à l'âge de 63 ans, le 27 juillet 1886 et de son frère aîné Marc Bousigues, esprit cultivé, parti au Mexique à 18 ans, qui fut nommé vice-consul et revint à Tarbes fortune faite. La famille Bousigues habitait la rue de l'Orient, aujourd'hui avenue de la Marne. Jacques, le chef de famille, exerçait la profession de fabricant de chandelles tout en exploitant une épicerie (2). Marc fut maire de Tarbes de 1871 à 1875, par arrêté d'Adolphe Thiers et mourut à 75 ans, le 23 octobre 1885.

 

Ce don à la ville de Tarbes consistait en un paquet de soixante actions de la Compagnie du chemin de fer du Nord, pour deux jets d'eau servant à l'ornement des bassins sur la place Marcadieu, un à chaque bout de la place, et dix actions supplémentaires dont l'intérêt servirait à leur réparation. Après une période de procès opposant Mlle Félicité Dencausse, fille d'Ursulin Dencausse, le célèbre fondeur de Soues, filleule et légataire universelle de Mme Duvignau, à la ville de Tarbes, le choix se fixe sur deux monuments. L'un, très important, mais d'une facture mécanique, l'autre, artistique et plus modeste.

 

À cet instant, faisons le point sur la situation décorative de la place du Marcadieu. À l'aube de tous ces événements qui dresseront les uns contre les autres, les élus de la ville, les architectes et les artistes, une seule fontaine monumentale est dressée au centre de la place. Il s'agit d'une œuvre en pierre avec une vasque circulaire piquetée de petites têtes de lions sculptées par Edmond Desca, sur le pourtour. Au centre, une colonne au fût épais porte à son faîte les armes de Tarbes. Elle fut érigée grâce au legs de 10000 F de Pierre Madeleine Montant, en 1871 et construite par Henri Nelli, dès 1874. Belle fontaine, certes, mais sans eau pendant plusieurs d'années. En revanche, Jean-Pierre Bove nous affirme que cette fontaine sèche fit couler beaucoup d'encre !

Le 22 janvier 1892, M. Vincent Lupau, ancien maire et conseiller municipal, aussi épris d'art que dévoué aux gloires locales, convainc l'assemblée communale de la supériorité d'une œuvre originale sur la banalité d'une fonte industrielle. Une occasion unique s'offre à la ville de témoigner à trois artistes Bigourdans l'intérêt qu'ils méritent, en même temps que doter la ville d'une composition véritablement inédite.

 

Quatre conseillers entendent le message, dont Henri Nelli, statuaire local ; onze votent contre, dont M. Sainte-Marie, le maire en exercice élu en 1888. L'argument majoritaire du refus est le coût exorbitant de la réalisation. Le trio des sculpteurs s'engage à fond sur le projet minoritaire de M. Lupau et la maquette exposée dès les premiers jours de mars 1892. Le montant de l'œuvre est estimé à 88000 F.

 

Le 10 mars 1892, M. Sainte-Marie traite avec le fondeur Gasne pour une « Fontaine de Tarbes » comprenant huit tortues jaillissantes, quatre couples de chevaux, quatre statues symbolisant l'Adour, l'Echez, l'Arros et le Gave, un groupe de quatre enfants et la statue de la République. L'ensemble est inspiré par Bertrand, architecte et le sculpteur Michel, premier prix au Salon de 1889, est contacté pour réaliser cette œuvre impérissable. Ironiquement, Louis Caddau qualifie cette fontaine « d'œuvre des marchands de robinets ».

 

Le Conseil se divise profondément sur cette affaire et la presse se fait l'écho des dissensions communales. Dans un article brillant et caustique, la verve d'Armand Sylvestre, poète-écrivain pyrénéen, fustige la municipalité tarbaise qui fait triompher la Fonte sur la Sculpture : « Vous ne connaissez pas cette assemblée unique - fort heureusement je l'espère - dans notre belle France. Le Conseil Municipal de Tarbes a refusé de connaître même ce projet. Pour qu'on ne l'en incommodât pas davantage avant même que le legs soit délivré par le Conseil d'État, il pourparle avec une grande maison de fonte industrielle et médite un bassin avec les quatre gros moutards joufflus que vous connaissez, crachant dans l'eau, sous les yeux d'une bonne d'enfants déguisée en République ! Il a son esthétique à lui, le Conseil Municipal de Tarbes. Il ne tient pas à faire grand, il tient à faire laid. Il veut qu'on se rappelle de lui quand il aura disparu… Bientôt ». Et, plus loin, sur le prétendu surcoût de l'œuvre artistique : « Exploiteurs, ces malheureux et admirables artistes qui n'arrivent pas souvent à tirer d'un chef-d'œuvre commandé, ce qu'un simple manœuvre tire de sa journée ! Mais ils en sont donc encore, au Conseil Municipal de Tarbes, à cette légende de l'artiste bohème… Ah ! La jolie poignée de bourgeois en retard d'un demi-siècle ! ».

 

L'enthousiasme des administrés pour la maquette présentée est tel qu'aux élections du 15 mai 1892, M. Lupau est réélu maire, pour la quatrième fois, à une voix de majorité ! Il est temps, son prédécesseur a déjà traité avec Gasne mais le Préfet n'a pas encore approuvé le marché. Malgré les efforts désespérés de la minorité municipale, l'acte passé entre la ville et les trois statuaires est signé, le 15 décembre 1892.

 

Qui sont ces trois artistes ? Louis Mathet, né à Tarbes, le 20 novembre 1853, est l'auteur de «Hésitation », « Oréade », « Première prière », « Flore », « Jeune fille à la source », « Le Printemps », « L'Inondation » érigée sur la place de la Courte-Boule, parmi d'autres réalisations ; Jean Escoula, né à Bagnères-de-Bigorre, le 27 octobre 1851, élève de Carpeaux, a sculpté "Le Sommeil », « Le Bâton de vieillesse » couronné à Paris, en 1882, « Le Bûcheron des Pyrénées », « L'Aurore », « Les jeunes baigneuses », « La Nymphe des sources », « Chloé endormie », « La Douleur », « La Muse Bagnéraise» et bien d'autres encore ; Edmond Desca, né à Vic-Bigorre, le 16 novembre 1855, auteur de « L'Aigle », « On veille », « Paix et fécondité », « L'Ouragan » couronné à Paris, en 1883 et dressé dans le jardin Massey, « 1792 » représentant le conventionnel Danton fustigeant un ennemi de la République, installé sur la place de la mairie de Tarbes, «Revanche » et « La lutte pour la Vie » à Vic-Bigorre, « Salut noble Béarn », à Pau, « Jean de La Fontaine», « L'Immortelle » pour ne citer que les œuvres les plus significatives (3).

Desca et Escoula sont classés hors-concours pour les récompenses décernées au plus haut niveau : le Salon des Artistes Français, à Paris.

 

(1) « Monographie de la Fontaine Duvignau à Tarbes» - Louis Caddau, Architecte des Monuments Historiques et Directeur des travaux de construction de la fontaine - 1899 - Imp. Perrot-Prat, rue Larrey, Tarbes.

 

(2) « Tarbes pas à pas » - Jean-Pierre Bove - 1900 - Éditions Horwath.

 

(3) « Edmond Desca, le lion de Bigorre» - Claude Larronde - 1989 - Edition Bibliothèque Municipale de Tarbes.