LA CHRONOLOGIE ET LE DERNIER JOUR

 

Le 4 février 2004, le dernier round de négociations du volet social du projet "GIAT 2006" a débuté. La réunion, prévue le matin, a été annulée sous la pression des manifestants à l'appel de la CGT.

 

A Tarbes, les Arsenalistes sont favorables à l'implantation de la SAGEM, mais pas dans l'atelier de montage des tourelles. Ils craignent une perte d'outillage de l'atelier en cas de déménagement dans une autre partie de l'usine.

 

Le 11 février, la direction de GIAT veut imposer un troc "simpliste" : moins d'emplois dans les ateliers et, en compensation, une nouvelle entreprise SAGEM dans les ateliers du GIAT. Les salariés ne sont pas d'accord : "Cet atelier est le seul, pour tous les sites du GIAT, a être équipé pour la fabrication des tourelles et pour leur maintien en conditions opérationnelles. L'alternative industrielle que nous proposons et dont l'armée de terre a effectivement besoin pour l'entretien de ses chars. Si nous acceptons que des matériels, des outils, soient déménagés de l'atelier, nous perdrons définitivement cette possibilité de reconversion. Les salariés ne veulent même pas y penser ; c'est ce qui motive notre action. Vouloir nous faire croire que ces outils ne sont pas nécessaires, alors qu'il nous reste 80 tourelles à construire, c'est se moquer du monde, d'autant plus que çà coûte cher".

 

Le 27 février, le Comité central d'entreprise (CCE) qui démarre ce matin au siège parisien, doit marquer la fin du processus des négociations. La CGT "ne signera pas le protocole d'accord qu'entend lui soumettre la direction et qui validerait l'ensemble du plan social". La CFDT "entérinera les améliorations sociales tout en continuant de rejeter le volet industriel qui porte en lui les germes de drames sociaux et de la disparition de l'entreprise".

 

Le 12 mars, nouvelle manifestation de 400 salariés qui défilent à l'unisson avant la rencontre avec un conseiller de Michèle Alliot-Marie. Le secrétaire du CE, Gilles Mur, refuse de signer la convocation d'un comité d'entreprise extraordinaire. La direction locale de GIAT dépose un recours devant le juge des référés.

 

Le 19 avril, la durée, voilà l'ennemi de tous les conflits qui, en s'enlisant, se ramollissent et finissent par s'éteindre. Mais, celui de GIAT n'est pas fait de ce métal-là. Il faudra reclasser 404 salariés. Sur les 763 employés, 190 bénéficieront de mesures d'âge, 90 de mesures similaires pour travaux insalubres. Il restera au GIAT, après 2006, 169 postes répartis entre la Pyrotechnie, DualTech et un minimum de structure. Le Parti communiste français s'interroge sur le devenir des employés de GIAT Industries et apostrophe le Préfet en lui adressant une lettre ouverte.

 

Le 26 avril, les représentants tarbais de l'Intersyndicale de GIAT sont reçus à Satory par le PDG Luc Vigneron, Pierre Marcajous, directeur des Ressources humaines, Michel Bonnefils, directeur industriel et Pierre Fleury, directeur du Centre de Tarbes. A la sortie, Albert Malfait, délégué CFDT, annonce "une réunion de trois heures d'où nous ressortons avec rien". L'ultime réunion de concertation n'a rien donné, les syndicats tarbais se tourne désormais vers l'Etat.

 

Le 14 mai, rassemblement de près de 200 employés aux portes de l'usine pour demander une nouvelle entrevue avec la ministre de la Défense. Un comité de site va se tenir à la Préfecture chargé du reclassement des employés de GIAT, sous statut.

 

Jeudi 10 juin, les Arsenalistes viennent dire leurs inquiétudes et leurs espoirs au siège de la Nouvelle République des Pyrénées. La veille, les représentants syndicaux se sont retrouvés à Paris pour participer à la commission centrale de pilotage et de suivi. Daniel Gerbault a remis une pétition de 380 signatures réclamant la création à Tarbes d'un Établissement d'Etat.

 

Le 31 août 2004, réclamant l'application du plan social, l'Intersyndicale entend déduire les volontariats des suppressions de postes.

 

Le 3 mai 2005, la CFDT du comité central de GIAT Industries a exigé du gouvernement "un plan spécifique" de reclassement dans la Fonction publique pour les salariés du groupe ayant perdu leur poste dans la restructuration. L'objectif du plan est de 169 à mi-2006; tous ceux qui ne sont pas volontaires, recevront une notification.

 

Le 25 mai, le bilan provisoire est de 202 reclassés sur 404. Les délégués CGT sont très inquiets. Les 170 postes escomptés à la SAGEM risquent d'être réduits. La centrale syndicale critique la Fonction publique "qui, à part l'Hôpital de Tarbes, ne reprend pratiquement personne".

 

Le 30 juin, GIAT se débarrasse des Forges et de Gradia, l'usinage de grande dimension, en décidant l'arrêt progressif des activités.

 

Le 5 juillet, dans la N.R des Pyrénées : "Le moral des salariés de GIAT n'avait pas besoin de ce nouveau coup de poignard. Peut-être un de trop, tant les moulins à vent qu'ils combattent depuis désormais plusieurs années semblent inébranlables". La direction de GIAT laisse planer une menace sur les 80 emplois concentrés aux Forges et Gradia. Les syndicats ont découvert que seulement 45 embauches pour 150 postes seront proposés à la SAGEM et cela malgré 378 candidatures. 

 

Et puis, la goutte d'eau qui fait déborder le vase, les syndicalistes se sont procurés, auprès d'un "récipiendaire", un mail provenant d'Alain Deyber, délégué aux restructurations, et adressé aux différents acteurs du reclassement où il est question de n'embaucher (à la SAGEM) qu'à moins de 80 km de distance avec un pourcentage de salaire actuel assuré. Suit une annotation de la DRH : "Si l'une des deux conditions est remplie, cela suscitera des candidatures et provoquera un choc psychologique en retour qui débloquera la situation". Daniel Gerbault, porte-parole de l'Intersyndicale, est écœuré et déclare : "On sonne le tocsin depuis des mois, et maintenant il y a le feu".

 

Le 7 juillet, les salariés de GIAT ont allumé 175 bougies pour montrer, symboliquement, qu'il reste 175 salariés sans solution de reclassement. Représentant du maire de Tarbes, François-Xavier Brunet a assuré les Arsenalistes du soutien de la mairie "Nous ne considérons pas plus que vous que le dossier GIAT est clos. Je donnerai votre message au Maire et il sera relayé au gouvernement. Et, comme vous, nous désapprouvons certaines attitudes brutales et antisociales, comme le fameux mail... Les reclassements sont difficiles, nous le savons, l'hôpital a pu en absorber 30, nous avons embauché quelques salariés de GIAT et on essaie de faire mieux".

 

Le 26 août, la vieille cheminée de l'Arsenal, haute de 62 mètres, est déconstruite. Ce repère temporel et spatial, visible partout à Tarbes, était une véritable vigie dans le paysage urbain ; cette cheminée a marqué l'inconscient collectif local.

 

Le 1er novembre 2005, les 15 premiers licenciements sur 183 sont effectifs. Daniel Gerbault, entouré par les salariés du GIAT, se trouve devant le relais emploi-mobilité. Le porte-parole déclare : "C'était le Magasin aux tabacs de Tarbes, le premier bâtiment de l'Arsenal. C'est là que l'on venait se faire embaucher. Aujourd'hui, c'est là où l'on va se faire débaucher".

 

Le 1er avril 2006, l'Arsenal de Tarbes a vécu. A quelques mois de l'échéance, les arsenalistes, ex-arsenalistes et les futurs "ex" préparent la suite. Une Association de Défense des Intérêts Socioculturels et Historiques des Arsenalistes Tarbais (ADISHAT), vient de tenir sa première assemblée générale. Daniel Gerbault déclare : "Comment éviter que toute cette mémoire collective, ouvrière, militante, citoyenne, ne s'évapore définitivement ? Comment travailler cet héritage en évitant surtout d'être passéiste ?". La création de cette association n'a pas échappé aux députés Jean-Claude Viollet et Jean-Claude Mignon en charge d'une mission d'information parlementaire sur "le suivi des mesures sociales d'accompagnement". Ils déclarent que ADISHAT "est un véritable trait d'union qu'il convient de soutenir car elle participe au maintien du lien social après la rupture du lien constitué par le travail".

 

Le 8 juin, la date fatidique du 30 juin approche. Du Centre de Tarbes qui comptait 3150 salariés en 1987, ne restera que la Pyrotechnie qui emploie 85 personnes. Une page de l'histoire tarbaise se tourne et il reste 112 employés à reclasser. Cette journée sera un symbole.

 

Le 30 juin 2006, le quotidien local "La Nouvelle République des Pyrénées" consacre un supplément gratuit de huit pages intitulé "C'était l'Arsenal" avec les articles de Claude Larronde, historien de l'Arsenal de Tarbes, José Cubero, historien, et les témoignages de Paul Chastellain, arsenaliste et ancien maire de Tarbes et André Delluc, leader syndical et voix de la CGT à l'Arsenal. La première page du quotidien est titrée : "La dernière sortie de l'Arsenal" et montre la sortie d'un millier d'arsenalistes - rassemblés le matin sur la Place du centenaire (1871-1971) - par la porte historique donnant sur l'avenue Alsace-Lorraine, condamnée par la Direction en 2003. L'autre quotidien local "La Dépêche du Midi" titre " GIAT : L'Arsenal ferme ses portes - La der des der". Cette dernière journée connaitra un grand retentissement dans le département des H.P et bien au-delà.

 

Le dernier jour de l'Arsenal de Tarbes

 

Le samedi 1er juillet 2006, la presse titre encore "GIAT Industries ferme ses portes - L'Arsenal sera toujours !". Elle montre la plaque fixée la veille - au-dessus de la plaque marquant la visite à Tarbes du ministre des Armées Michel Debré, en 1971 - et intitulée "30 juin 2006 - Jacques Chirac, Chef des Armées, ferme l'Arsenal de Tarbes". Daniel Gerbault signe l'épitaphe des 135 ans de l'histoire industrielle de l'Arsenal par ces mots : "Tout est difficile quand le cœur n'y est pas, tout est difficile quand les copains ne sont plus là, tout est difficile dans l'abrutissant silence de l'usine qui se meurt".

 

Note de Claude Larronde : 

 

A l'automne 2006, c'est un nouveau crève-cœur pour les anciens salariés de GIAT Industries, les machines-outils sont vendues aux enchères, des tonnes de matériel. Un PDG, venu acheter, constate avec admiration : "Ce qui est remarquable, c'est que ce matériel était bien entretenu". 

 

La chronologie s'achève ici. Le samedi 27 décembre 2006, Gérard Trémège, maire de Tarbes, a signé le protocole de vente de GIAT Industries à la ville de Tarbes de 20 ha de l'Arsenal pour 3,8 M€. M. Bonnefils, directeur industriel de la société nationale, s'est félicité que GIAT Industries ait tenu ses engagements... Pour les 80 ouvriers qui n'ont pas encore trouvé de reclassement, il déclare : "Que les personnes concernées fassent preuve de plus de dynamisme et de mobilité".