Depuis toujours, le quartier du Marcadieu est situé à l'Est de Tarbes, entre le Bourg Crabé devenu Bourg du « Portail-d'Avant » (portail de l'Est) et le Bourg Navet, dernier né des noyaux urbains tarbais. L'église Sainte-Thérèse, survivance de l'ancien couvent des Carmes du XIIIe siècle, la Halle au blé et la fontaine des Quatre Vallées, érigées au XIXe siècle, sont tout à la fois des repères chargés d'histoire et des points de rencontre de la vie sociale et culturelle des hauts pyrénéens sur la place de « Lo Marcadiu », comme disent les Gascons, qui rappelle la position éminente du marché tarbais, attestée dès le Moyen Âge.
Le grand marché de Tarbes
Le grand marché « du jeudy et de quinze en quinze jours », que décrit Guillaume Mauran, a son caractère propre, une forte personnalité et un rayonnement commercial sans égal, en Bigorre. Oh cela ne s'est pas fait d'emblée, loin de là !
Au XIVe siècle, l'espace du Marquadau n'est pas considéré comme faisant partie de la ville. Il se situe hors les murs, extérieur au Portail-d'Avant ou porte du Marcadieu et le canal oriental qui alimente l'ancien moulin des comtes de Bigorre semble lui barrer l'intégration à la Cité. Les tarbais y possèdent fermes, granges et jardins. Au XVIIe siècle, Mauran note qu'il s'y tient deux belles foires : à la mi-carême et le lendemain de la fête de Notre-Dame, en septembre.
Ce lieu est donc à la campagne et lorsque la peste réapparaît, en 1654, les bourgeois de la commune ont fui et le Marcadieu est un emplacement béni où peuvent se tenir encore les réunions populaires. Mais la mauvaise réputation lui colle à la peau et sa position excentrée le fait choisir comme lieu d'exécution des condamnés de droit commun avec pilori, fourches patibulaires et chaînes, enfin, tous instruments de mise en application de la sentence. Les fosses des suppliciés y sont creusées, sur place, afin que les corps sans vie n'y soient pas dévorés par les chiens errants (1).
Ce caractère sinistre et glacial perdurera jusqu'à la Révolution puisque le Représentant en mission, Monestier du Puy-de-Dôme, relayé par la Société Populaire de Tarbes, condamne à la « sainte guillotine », sur la place de la Fédération - nouvelle identification de la place Marcadieu - le ci-devant abbé basque Salvat Jourretche, condamné à Pau et l'abbé d'Agos, prêtre du Comminges, arrêté en Barousse. Le premier est exécuté le 14 novembre 1793 et, le second, le 28 janvier 1794 (2).
Durant l'Empire, les manœuvres militaires du 25e régiment de Chasseurs et les marches d'entraînement de la Garde nationale y sont régulièrement pratiquées. Puis, la place du Marcadieu connaît des jours plus pacifiques car, ne l'oublions pas, le trafic qui débouche du nouveau pont de pierre sur l'Adour, reconstruit depuis 1744, longe les maisons implantées sur tout le pourtour de l'esplanade légèrement rehaussée. Les échoppes et les maisonnettes en bois y sont édifiées par des étrangers à la ville, jusqu'en 1854, où l'on décide de mettre un frein à une construction aussi anarchique que foisonnante.
Corollaire de cet afflux, les paysans, fort nombreux, qui viennent au marché, contestent un nouveau réglement et s'affrontent avec l'administration issue de la Révolution, en 1798. Le Préfet leur demande de participer aux réparations des dégâts occasionnés par le bétail et les charrettes. La prévention des rixes localise la vente des grains dans la partie Est de la place Marcadieu et, pour l'énième fois, on s'attaque aux « trous et flaches ». Jean-François Soulet imagine la nature des transactions commerciales : « beurre, fromage et le bétail des Lavedanais et des Campanois ; les tissus bagnérais et pontacquois ; les poteries d'Ordizan, les clous de Saint-Pé… bref, les mille et une spécialités des différents bourgs de la Bigorre rassemblés pour une journée » (3).
En 1755, commencent les affiévements, c'est-à-dire la concession par la Ville de parcelles pour y bâtir selon un plan d'alignement bien compris. Le grand projet de 1836 est le raccordement, par un large boulevard, de la caserne - devenue Larrey, en 1852 - à la place du marché et au pont de l'Adour. Ce sera fait en 1867. Le 5 mai 1859, les paysans protestent contre les droits de place et bravent la Gendarmerie établie entre Marcadieu et Foirail. Les menaces, coups de poings, jets de pierre entraînent une dure répression : sept morts et de très nombreux blessés. La municipalité demeurera très vigilante, désormais, et le commerce local n'engendrera plus une rébellion de masse aussi violente contre les forces de l'ordre.
En 1860, le commissaire de police estime la fréquentation du marché de Tarbes à 20000 «étrangers» et un comptage effectué sur le pont de l'Adour, un jeudi de 1876, enregistre 12672 piétons, 4414 bestiaux et 1758 voitures. Considérable, pour une agglomération de 16000 habitants ! Jean-Pierre Bove nous détaille l'éventail multicolore des chalands qui n'est pas le moindre agrément visuel pour la clientèle : toque blanche à houppe de laine bleue de la vallée d'Aure, rouge et blanche pour Gèdre, barrette grise pour le Val d'Aran et bonnet rayé pour les Luziens. L'avocat Édouard Dencausse, historien, donne une vision poétique du marché tarbais dans son ouvrage : « Mon tour de ville », publié en 1908 (4) :