SCULPTURE
26 - Les Romantiques bigourdans : Léon Dufrène
Il s’installe à Malakoff sur Seine et développe son savoir-faire d’une manière originale mais harassante. Le jour, il le met au service des autres artistes et réalise pour le grand Sicard la “George Sand” du jardin du Luxembourg, travaille sur l’ornementation des balcons du Lutétia, et exécute magistralement un lion du pont Alexandre III. La nuit, il est artiste à son compte. Il sculpte des bustes. Celui de son père Benjamin qui pose pour lui, de Jean Lataste qui deviendra le troisième conservateur du musée Massey, à Tarbes, de Margyl, chanteuse de l’opéra de Paris, très en vogue.Léon Dufrène n’est pas seul dans son atelier. Alfred Brosse, un voisin, partage les travaux du bigourdan. Il a une sœur, Séraphine Charlotte, jolie et passionnée de sculpture. Elle se rend utile, fait poser les enfants, prépare les terres avec conscience, en assure le mouillage incessant car le jeune maître est exigeant. Parfois, après plusieurs mois de retouches, il détruit l’ébauche qui ne correspond pas à l’état d’avancement souhaité et le redessine… sur ses manchettes de chemise, pendant les repas. A l’instar du couple Claudel-Rodin, Séraphine Charlotte est la fidèle compagne, l’égérie, le modèle et la muse de son artiste préféré qu’elle épouse le 18 février 1904, à la mairie de Malakoff. Elle a 25 ans. Lui, 24. Très curieusement, le prénom usuel Séraphine n’est jamais prononcé. Dans l’intimité, c’est Jeanne ou Jeannette. Promue intendante du ménage, elle gère une vie matérielle qui ne semble nullement préoccuper son mari, défend ses intérêts en toutes occasions et exige le règlement du prix d’une œuvre auprès d’un artiste finlandais qui l’a emportée sans l’acquitter ! Elle l’accompagne à l’opéra pour les représentations de “Carmen” et “Faust” et expose pour son mari une nudité parfaite dans “Taquinerie”.
"Taquinerie" - cliché Berthe Ursat
27 - Les Romantiques bigourdans : Léon Dufrène
L'artiste fait partager à son épouse son amour de la peinture, huile et aquarelle, particulièrement les paysages de ses chères Pyrénées, la vallée de Campan et le jardin Massey. Le couple part en Angleterre sculpter des lions chez un lord. Ils rêvent de monter une académie, avenue des Champs-Elysées, plus tard. L’adolescence de Léon Dufrène a été studieuse même si son choix n’était pas la poursuite des études. Il lisait et relisait les recueils de poésie de l’époque romantique, jouait de la mandoline, aimait les chiens et les oiseaux. Sa curiosité, son excellente mémoire et son sens de l’observation le font s’exprimer avec aisance. Il écrit dans un français correct, exempt de fautes d’orthographe. Si bien, qu’il est reçu dans les milieux bourgeois tarbais qui reconnaissent en lui un artiste en herbe au talent plein de promesses. A Paris, il suit les cours de l’École des Beaux-Arts, à l’atelier de Louis-Ernest Barrias. L’exposition de sa première œuvre “Le Petit François” date de 1902. C’est un buste, en marbre, de son ami d’adolescence, François Faure, fils du chef de division honoraire de la Préfecture des Hautes-Pyrénées. Madame Faure, bijoutière au 7 de la rue Brauhauban, aurait bien voulu que le jeune artiste succombât aux charmes de sa fille, mais les trajectoires des flèches de Cupidon sont imprévisibles. Elle restera la grande amie de la famille Dufrène, au-delà même de la mort de Léon. Cette pièce est exposée au Salon des Arts Français dont il devient le sociétaire en 1907. Qu’expose Léon Dufrène durant ces quatre années intermédiaires ? Nous l’ignorons d’une manière précise mais on peut penser à des œuvres telles que “Le Vieux Pyrénéen”, inspiré de la fréquentation d’un bigourdan de la vallée de Lesponne ou le “Comte Russell”, personnage célèbre des débuts du pyrénéisme.
" Vieux pyrénéens"- cliché Berthe Ursat
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Pour son admission à la Société des artistes français, en 1907, Léon Dufrène expose “L’Amour endormi” qui symbolise Antéros, frère d’Éros. En 1908, une mention honorable récompense “Audacieux”, ce bambin qui joue à se faire peur en pointant un index tremblant vers la gueule menaçante d’une mâchoire de lion descente de lit. Amateur d’art, le banquier tarbais Prada achète l’œuvre en marbre. Une reproduction en plâtre est au musée Massey de Tarbes. En 1909, “La Page du cœur” apporte la consécration au jeune artiste par l’obtention d’une médaille de 3e classe. Il a 29 ans. Ce groupe en plâtre est dans le hall d’entrée de la mairie de Castelnau Rivière-Basse. Louis Caddau déclare : “L’arrangement en est des plus heureux et les corps de ces deux beaux adolescents sont modelés avec une infinie délicatesse. Pas la moindre sensualité dans l’intention ni dans l’exécution ; l’artiste nous montre deux êtres épelant avec innocence la première page du cœur”. Particularité de l’exemplaire acheté par la ville de Tarbes, il repose sur un socle d’Émilien Dorgans. Par amitié pour Léon Dufrène, l’artiste aureilhanais a finement ciselé thyrse, attribut de Bacchus, et décor végétal naturel. Ce socle est au musée Massey, à Tarbes. Dufrène a-t-il souhaité représenter son mari Faunus en ce bambin ventru, intitulé “Faune”, s’exerçant à la flûte de pan pour une prochaine Lupercale ? Sur ce thème, on peut ajouter le “Baguier”. Avec “Faunesse”, une autre œuvre est exposée en 1910. “Le matin de la vie” est exposé au Salon des Arts Français de 1911. Il représente l’éveil souriant d'une adolescente, confiante et pleine d’espoir en une vie qui s’annonce riche en projets multicolores. Exposé au Salon de 1912, “Vin et chanson” allie la grâce, la finesse, la délicatesse dans les modelés, l’harmonie d’ensemble.
"Le Baguier" - cliché Berthe Ursat
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Remarqué au Salon, “Vin et chanson” vaut à Dufrène une invitation à entrer dans la prestigieuse Union Internationale des Beaux-Arts et des Lettres fondée par MM. Paul Adam, Vincent d’Indy et Auguste Rodin. Le comité d’honneur comprend quelques noms illustres: Gabriele d’Annunzio, Cézanne, Degas, Anatole France, Rudyard Kipling, Pierre Auguste Renoir, Léon Tolstoï, etc. Dès lors, comment s’étonner qu’il soit nommé, la même année, sur proposition du ministre des Beaux-Arts, officier d’Académie. L’ascension du Bigourdan se poursuit pas à pas. “Tendresse fraternelle” est la traduction du lien fraternel, tout à la fois puissant et fragile, ineffaçable en tout cas. La grande sœur presse contre son cœur son jeune frère tel une mère possessive. Au salon de 1914, ce groupe attire tous les regards. L’Institut de France lui décerne le prix Piot auquel est attachée une prime de 2000 F. Le fondateur avait remarqué que la reproduction de ces enfants avait donné à l’école de Florence une grande partie de sa réputation. En effet, comment ne pas retrouver dans l’art de Léon Dufrène cette délicatesse florentine ? Comment ne pas apprécier la sensibilité particulière avec laquelle l’artiste met en scène l’Enfant dans son œuvre ? L’été 1914, Léon Dufrène a 34 ans. Adjudant de réserve, il est des premiers à partir. Là-bas, dans la tourmente, quand les obus boches cessent de tomber, il sculpte avec la terre des tranchées “En patrouille”. L’attitude du fantassin des premiers mois de guerre est tout imprégnée de cette tension inquiète que procure la sensation d’un danger imminent. En capote et shako, le barda sur le dos, les cartouchières en cuir sur la poitrine, le fusil “Lebel” à la main droite, le regard scrute devant soi, l’oreille attentive au moindre bruit. La trajectoire du 272e Rgt d’infanterie de la 14e compagnie est mouvementée.
" Le matin de la vie" - cliché Berthe Ursat
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