PYRENEES ENSORCELEES

 

Un opprimé...victime de la société

 

Après la question, et si la constitution physique du prévenu le permettait encore, le soupçonné était banni de sa commune ; d’ailleurs la prudence judiciaire et le désir de satisfaire l’opinion imposaient cette sanction ; il aurait été malsain de demeurer dans un environnement haineux.

 

Un an après, les durées de bannissement de trois et cinq ans étant rares, l’indésirable regagnait son domicile, en partie ou totalement saccagé. La situation du banni devait être difficile, sinon précaire. La qualité d’accueil de l’étranger indigent, précédé ou rapidement rejoint par la “mauvaise réputation”, était celle d’un errant particulièrement vulnérable. Parfois, le bannissement était précédé de la fustigation ou d’une amende honorable. À Marciac, dans le Gers, un homme fut mis au “collier” devant la porte de l’église paroissiale, pendant la grand-messe, après avoir vu pendre et brûler ses complices. Ensuite, il fit amende honorable et fut expulsé de la localité. Exceptionnellement, le suspect pouvait être écarté de sa communauté sans être judiciairement banni.

 

Il arrivait qu’une simple fustigation, infligée au milieu d’une foule surexcitée, se terminât par la mort. Le bourreau stimulé par les vociférations, relayé en cas de besoin, transformait la punition du fouet en supplice sanglant et tragique. À Seysses, en Haute-Garonne, une fouettée fut assommée par des enfants à coups de pierre ! Enfin, au bas de l’échelle des peines, la relaxe et la mise hors de cour ou de procès étaient suivies de l’élargissement immédiat, au bout de quelques semaines d’incarcération. Cette mesure très proche de l’acquittement actuel, était prononcée en appel, par le Parlement.

 

Un arrêt, du 19 décembre 1643, concernant vingt-trois femmes poursuivies dans la vicomté d’Asté, en Bigorre, est significatif de la politique d’apaisement qui se dessine à partir de cette époque : une femme est renvoyée pour complément d’information, dix-neuf sont relaxées, trois mises hors de procès. Pourtant, la campagne 1643-1644 fut d’une rigueur intense, mais, fort heureusement, le Parlement sut modérer les ardeurs et briser les excès : un condamné pour trois inculpés, quarante pour cent des peines capitales sur le total des condamnations requises.

Comment reconnaître les sorciers

Sur quoi fondait-on l’accusation, en première instance ?

 

Essentiellement sur le “bruit commun”, générateur de troubles dans l’ordre public, cause de “scandale pour les autres” et la “marque”. Celle-ci se reconnaissait à l’œil gauche, sous la forme d’une patte de crapaud, sous l’aisselle où se cachaient les marques diaboliques. La présence d’un chirurgien ou toute autre personne “experte” était indispensable pour la recherche.

 

Le praticien plantait une aiguille en différents endroits du corps. Si la patiente, les yeux bandés, ne se plaignait pas au moment de l’enfoncement dans la “marque”, la preuve était faite, elle pactisait avec le démon ! Un autre test consistait à regarder la présence du sang à l’instant du retrait de l’aiguille, l’absence de traces sanguinolentes était fatale à la soupçonnée. En 1633, Hugon, un imposteur, provoqua de grands désordres en Béarn. Il reconnaissait les sorcières en leur soufflant dans les yeux. De nombreuses innocentes furent diffamées et mises entre les mains de la justice avant qu’Hugon soit châtié à son tour. Les particuliers possédaient un moyen classique de divination : le crible ou le tamis. En Gascogne, le tour du tamis - et tour d’et sédas - était très populaire. On confectionnait “l’appareil” de la manière suivante : on plantait une paire de ciseaux fermés dans l’un des trous du cercle en bois, jusqu’aux anneaux ; ces trous permettaient de suspendre le tamis. On élevait “l’appareil” en équilibre sur l’extrémité de deux doigts posés sous la partie inférieure des anneaux émergeant hors du cercle et, sollicité par les questions posées, le crible répondait oui ou non, c’est-à-dire oscillait à gauche ou à droite. C’était la danse du tamis… Une séance de radiesthésie, par le tamis pendule, en quelque sorte !

 

On citait le nom de personnes suspectes d’un vol, d’un sort jeté sur les bêtes ou les récoltes… Le tamis désignait le coupable. On s’aidait de formules, comme par exemple : “Par Saint-Pierre ou Saint-Paul, si X… est coupable, tourne, tourne, petit tamis”, “Au nom du Père, de Jésus Christ, du Saint-Esprit, tourne”.

 

À Peyrehorade, la méthode de reconnaissance était différente. A l’office divin, le missel était laissé ouvert après le dernier évangile : si par distraction, le prêtre omettait de le refermer après “l’Ite missa est”, les sorcières étaient terrassées sur place ou dans l’incapacité de sortir de l’église, sinon à reculons, et malgré tous leurs efforts, impossibilité pour elles de franchir la hauteur du bénitier. Cette croyance était générale en Béarn et au pays de Foix. Une variante de cette méthode avait cours en vallée de Barétous ; on jetait des feuilles de trèfle sauvage dans le bénitier de l'église empêchant ainsi les sorcières, venues à la messe, de sortir. À Sauveterre-de-Béarn, la gousse de petits pois ou de fèves, contenant neuf grains et cueillie le matin de la Saint-Jean, jetée dans le bénitier, avait la propriété de les immobiliser.

 

Aussi l’Église punissait-elle sévèrement tout pacte avec le démon et l’usage de sortilèges ou de pratiques magiques. Ces cas étaient réservés à monseigneur l’Évêque et les statuts synodaux des diocèses d’Auch, Saint-Gaudens et Tarbes étaient explicites : “Nous déclarons excommuniés tous sorciers et sorcières et tous autres qui par l’aide ou l’invocation du démon causent des maladies ou maléfices aux hommes et aux bestiaux ou qui les guérissent, qui empêchent l’usage des mariages par ligature ou autres moyens qui tiennent du maléfice… Que les curés, vicaires, prédicateurs et confesseurs travaillent à désabuser les peuples de la confiance qu’ils sont si enclins à donner à ces hommes qui passent pour sorciers ou magiciens et pour apporter un remède efficace à cet abus qui ne devient que trop commun, nous les exhortons à nous dénoncer ceux qui abusent ainsi de la crédulité des pauvres, afin de leur faire subir la rigueur des lois, en employant le secours du bras séculier”.


…Et comment s’en préserver ?

Il ne suffit pas de connaître les sorcières, il faut pouvoir se garder de leurs sortilèges. Les signes, les formules, les plantes, les talismans et les gestes traditionnels constituent une panoplie de moyens éprouvés.

Le signe le plus ancien et le plus efficace est sans conteste la figue - "ha la higue". L’apparition d’une sorcière provoque le geste réflexe d’une main droite qui se ferme prestement, emprisonnant le pouce entre l’index et le majeur.

 

Gaston Fébus (3) n’hésite pas à le faire lorsqu’il se croit prisonnier du Prince Noir, à Bordeaux, craignant de ne plus revenir sain et sauf, en Béarn. La figue est vénérée comme un talisman. Pour se garder de l’ensorcellement, les Basques portent autour du cou cette précieuse amulette d’or, d’argent, d’étain, de plomb ou de cuir. “Higo” des Espagnols, “amuletum superstitiosum” des orfèvres italiens, sa présence réconfortante est consolidée par le signe de croix, pour augmenter sa puissance. Les formules appropriées écartent également l’influence néfaste des sorcières : “Sorcière, loin de moi !” ou “Arrière ce qui est maudit, je ne prends que ce qui est béni”, en pays Basque, les Gascons laissent approcher la malfaisante et, à son passage, profèrent mentalement “Que le diable te souffle au cul !”, les Bigourdans préfèrent : “Qu’un mauvais four te brûle, sorcière ! Qu’un mauvais four te consume !”. En Bas-Languedoc : “Sorcière, sorcière, coussinet. Si tu reviens demain, je te donnerais du feu et du sel”. Les termes de la formule restent un peu obscurs, le coussinet invoqué est placé sur la tête des femmes pour supporter une charge, mais le sens des paroles importe peu, c’est le rite qui compte et la conjuration qui trouve en elle-même sa propre fin. Dans le Montpelliérain il faut dire : “Qui t’a fait, qu’il te défasse ! Qui t’a jeté un sort, qu’il te l’enlève !”, dans le Tarn : “Tu ne seras pas plus fort que moi, coquin, canaille, voleur !”, en Ariège : “Brocha (Sorcière), diable”. 

 

D’autres formules sont fortement christianisées, par exemple : “Ils sont deux qui nous trahissent et trois qui nous aident : le Père, le Fils et le Saint-Esprit” ou “Retire-toi Satan, et laisse la place à l’Esprit”. En Armagnac, la formule est accompagnée d’un crachat par-dessus l’épaule. En règle générale, plus la formule est hermétique et plus elle est efficace. Les anciens démonologues avaient observé que les noms barbares ou tirés d’idiomes perdus - assyriens, égyptiens - possédaient une vertu mystique et ineffable qui tenait à l’antiquité de ces langues, certes, mais surtout à leur origine divine probable.

 

La crainte d’être ensorcelé est tellement forte qu’on laisse toujours au fond du verre quelques gouttes de liquide ou qu’on les jette à terre. Geste ancestral mécanique ou conjuration du mauvais sort, mon père, basque de tradition, ne vidait jamais complètement son verre de vin ; à la fin du repas, il se levait pour verser, dans l’évier, les dernières gouttes. Pour la conjuration du “mauvais œil”, le rôle des plantes est primordial. Le fenouil, cueilli la veille de la Saint-Jean, placé sur le seuil des portes et sur des serrures, dans les appartements, dans les fentes des battants et des fenêtres, est reconnu comme la plante exorciste par excellence. Pourquoi ? Ses feuilles à fines dentelures nécessitent, de la part de la sorcière, un examen particulier. La nuit du solstice d’été - 24 juin - les sorcières veulent entrer ; mais pour cela, il leur faut compter exactement les innombrables petites dents. L’opération est longue et fastidieuse et elles n’y parviennent jamais avant le chant du coq, où elles doivent renoncer et se retirer. Pline l’ancien, conseillait l'armoise - artémise ou eschén - “contre les charmes”. Dans tout le Midi, le millepertuis perforé ou officinal est propre à chasser les démons. En Gascogne, la sauge, la verveine, le romarin, le lierre terrestre, le laurier, le hêtre, le verne, le frêne, le houx, le coudrier, l'aubépine, la fougère et d’autres encore, possèdent la puissance mystérieuse de neutraliser le “malin”. Jeté au feu à toutes occasions propices, en pays Basque, au cri de la chouette, en Béarn, le sel est aussi un antidote souverain contre les puissances infernales.

 

Après avoir évoqué quelques “recettes” pour contrer les actions maléfiques des sorcières, nous mentionnons certains gestes rituels qui complètent la variété des formes préventives. Suspendre un crapaud vivant par une patte et le laisser sécher au soleil, en Ariège, mettre à l’envers les vêtements : brassière et chemise du nouveau-né, une chaussette, slip, blouse de l’enfant, relever un coin du tablier, chez les fillettes, au passage de la maudite, en Languedoc. Ailleurs, c’est faire entrer, à reculons, les vaches à l’étable - le lait gardera tout son parfum - le chien de chasse à son chenil - le flair restera intact - le cochon avant de planter le couteau - la chair sera meilleure. Dans l’inconscient collectif, le rite de l’inversion demeure vivace, encore aujourd’hui.

Pour conclure

Calquée sur l’organisation de l’Église, sorciers et sorcières apparaissent comme une sorte de secte avec sa hiérarchie, ses maîtres et maîtresses choisis parmi les plus anciens, ses diacres et sous-diacres, ses dogmes, sa propagande. Préparé, le néophyte est amené au “pré du bouc”- “aquellare”, chez les Basques - ou au cimetière, ou dans les bois, loin des habitations, dans la nuit ou dans l’ombre, ou dans les recoins de la maison, c’est-à-dire à l’écart. Enduit d’onguents à base de belladone, jusquiame ou mandragore, il renie Dieu, la Vierge, les saints, les sacrements, les parrains du baptême, la foi, et adore le démon par le rite du baiser. C’est l’inversion du monde religieux. Dos tourné à l’autel, le célébrant, tête en bas et les pieds en l’air, tient de la main gauche, et non pas de la droite, une hostie noire et non pas blanche.

Après l’initiation des premier et second degrés, la science satanique lui confère, outre la “marque” - crapaud sur la pupille , la maîtrise en sorcellerie. Le recrutement s’adresse prioritairement aux enfants mais les malades mentaux n’en sont pas exclus. Vanité, mythomanie, troubles de l’âge pubertaire, les jeunes participent aux cérémonies démoniaques mais aussi témoignent à charge, massivement, aux grands procès de sorcellerie. L’emploi des stupéfiants naturels, cités plus haut, explique leurs croyances aux prodiges, aux voyages aériens des sorcières ou à leurs métamorphoses.

 

Femme frustrée, privée de considération sociale comme de fortune, en recherche d’un point d’équilibre ou assouvissement de rancunes, victime de la haine familiale, de la jalousie sociale ou de l’intrigue politique, la sorcière est toujours la victime de son propre échec.

 

Un sabbat… d’enfer (Texte de J.B. Larcher - Dictionnaire, lettre S - A.D.H.P).

Lorsqu’on les amène pour la première fois au sabbat, le Diable fait plusieurs tours à l’entour de ces personnes, leur fait renoncer à Dieu, à leur chrême et à leur baptême, les exhorte à se venger de leurs ennemis leur donne deux sortes de poudre. L’une pour se frotter l’épine du dos, lorsqu’ils veulent se rendre au sabbat, l’autre pour faire du mal en les plaçant aux endroits où passent les gens et les bestiaux, ou en leur en faisant manger. Le Diable prêche ensuite à toutes les assemblées, les exhortant à la vengeance. Il parait sous l’apparence d’un homme noir tenant par la bride un cheval noir. On va une chandelle de poix noir à la main lui baiser le cul. Il dit une espèce de messe avec du pain noir et le distribue de sa main, à la fin de la messe aux fidèles à genoux. S’il y a des prêtres au sabbat, ils disent la messe et le Diable la leur sert. Après cette messe, on fait une danse dos à dos sans se regarder, et le Diable connaît toutes les femmes l’une après l’autre, devant toute l’assemblée ; après lui, les hommes prennent la première venue, parente ou non et s’en servent. Les femmes assurent que la verge du Diable est grosse comme celle d’un cheval, mais froide, que la semence qu’il jette est comme de l’eau de neige fondue et qu’ensuite elle brûle. Il leur fait manger en quantité des viandes de toute espèce, comme bœuf, mouton, poules et autres de moindre saveur, cuisinées à un feu plus rouge et plus ardent que d’ordinaire. Le Diable chante des chansons dans lesquelles il est parlé du chat. Lorsque le coq chante, tout le monde se retire. Quelquefois le Diable les bat, quand ils ne sont point assidus au sabbat. Il va quelquefois coucher avec les femmes dans leurs lits proches de leurs maris, et les connaît charnellement. Il n’est point exact à tenir sa parole quant à l’argent. Il marque ses nouvelles conquêtes en plusieurs parties de leurs corps, surtout les plus secrètes, et si l’on enfonce des aiguilles ou des épingles dans ces parties, même jusqu’à l’os, le sorcier ou la sorcière n’en ressent aucune douleur”.

 

(3) Orthographe usuelle dans le pays de Foix.

 

La sorcellerie en Pays Basque

 

http://blog.claudelarronde.fr/2016/09/10/la-sorcellerie-en-pays-basque/