SCULPTURE

6 - Les Romantiques bigourdans : Louis Mathet

 

Pourquoi Eugène Guillaume, artiste confirmé, membre de l’Institut et directeur des Beaux-Arts s’intéresse-t-il à Louis Mathet ? À ses yeux, sa façon de manier le ciseau le désigne pour succéder à son chef d’atelier qui vient de mourir. Le Bigourdan accepte avec empressement. Guillaume se prend d’affection pour lui et lui manifestera son amitié jusqu’à sa mort, en 1905. L’existence matérielle du jeune artiste est alors assurée. Tout naturellement, il vient à créer son propre atelier. Des bustes puis des statuettes sont présentés aux Salons des Artistes français. Après le décès de Guillaume, Auguste Rodin veut tester le Tarbais en lui demandant de l’aider à terminer un groupe. Peut-être s’agit-il d’« Orphée et les Ménades » qui fut réalisé à trois avec F. Ganier, entre 1903 et 1905 ? Le résultat est probant puisqu’il lui fait une proposition d’engagement. Notre Bigourdan n’accepte pas car il veut garder sa liberté mais il travaillera souvent pour le maître jusqu’à la mort de celui-ci, en 1917. Un pseudo-collectionneur possède la représentation en plâtre de l’« Ève » de Rodin et demande à Louis Mathet de la lui reproduire en marbre. Le sculpteur sait que la reproduction d’une œuvre sans l’accord de l’auteur est interdite. Aussi, demande-t-il au quémandeur de revenir avec l’autorisation de l’artiste. Par quel miracle ce « client » persuada-t-il Mathet qu’il avait reçu le précieux sésame, mystère. Le Bigourdan fit montre d’une grande naïveté et se mit aussitôt au travail. À quelque temps de là, l’affaire des faux Rodin éclate…impliquant notre compatriote de reproduction frauduleuse. L’escroc vendeur a enfoui les statuettes dans une fosse et accuse Mathet d’en être l’auteur. Le juge d’instruction chargé de l’affaire comprend très vite la machination dont a été victime Louis Mathet et délivre une ordonnance de non-lieu. Pour dédommagement, Léon Bérard, Ministre des Beaux-Arts, lui commande le marbre de « L’Oréade », en janvier 1920.

La « Plaine de Tarbes » - Allégorie de Louis Mathet, fontaine des Quatre-Vallées, place Marcadieu, à Tarbes - cliché Claude Larronde

7 - Les Romantiques bigourdans : Louis Mathet

 

La probité de Louis Mathet étant reconnue, l’artiste accuse le coup. Une maladie de l’estomac se déclare et la mort survient le 22 avril 1920, à l’âge de 66 ans. Venons-en aux œuvres majeures exposées au Salon des Artistes français. En 1887, « Hésitation » obtint une mention honorable, un grand succès populaire et le marbre obtient, l’année suivante, la 3e médaille. Un moulage figure au Musée Massey de Tarbes. Un autre fut placé, en 1892, dans le parc d’Argelès. En 1890, le plâtre d’« Oréade », nymphe des montagnes de la suite d’Artémis, est exposé. Le bronze (1891) et le marbre (1903) suivront. En 1892, le groupe en plâtre « La première prière » obtient la médaille du Salon. Évocation du paradis terrestre, Rose Mathet l’a donné au Musée Massey. En 1894, « Matinée de printemps » et « Flore » en 1896. De 1893 à 1897, il collabore à l’érection de la fontaine Duvignau-Bousigues, à Tarbes et réalise trois allégories : La « Plaine de Tarbes » contemple son cheval et pointe le canon de l’Arsenal, la « Vallée d’Argelès » caresse un taureau de son élevage et soutient un agnelet, enfin, la « Vallée d’Aure » joue avec son bouc et une flûte de Pan. En 1898, il réalise pour sa ville, en souvenir de la terrible inondation de 1875 qui a fait fuir les riverains, « L’Inondation », groupe en marbre qui lui vaut la médaille d’argent à l’Exposition Universelle de 1900, inauguré le 15 avril 1901 par le sénateur Jean Dupuy, ministre de l’Agriculture. Placé sur la place Maubourguet - place de Verdun - il sera déplacé, en 1934, sur la place de la Courte-Boule, face au 35e R.A.P. En 1899, il expose « Peureuse ». En 1901, c’est « Bouton de rose » buste d’enfant en marbre. En 1907, 1912, 1918, il présente « Consolatrix », qui prendra sa forme définitive, en 1911, avec une 1re médaille, où l’on remarque l’influence du maître Rodin, le bas-relief « Jour de fête » et « Capulet » un buste d’enfant en marbre.

La « Vallée d’Argelès » - Allégorie de Louis Mathet, fontaine des Quatre-Vallées, place Marcadieu, à Tarbes - cliché Claude Larronde

8 - Les Romantiques bigourdans : Louis Mathet

 

Que dire de notre compatriote Louis Mathet ? Ces contemporains l’ont qualifié « d’artiste habile et consciencieux ». Je crois qu’il était beaucoup plus. Sa maîtrise du ciseau sur des sujets éminemment délicats faisait de ce praticien un allégoriste et un symboliste qui excellait dans l’imitation dans le monde des idées. Bien sûr, l’époque inclinait à un réalisme dur, parfois brutal, mais tout en étant fasciné par la force des réalisations d’Auguste Rodin, son maître qu’il veillera pendant la nuit précédant les obsèques, il préserve sa personnalité et infléchit le cours de son art vers la douceur, la nuance, la féminité. « Hésitation », « Oréade », « La première prière », « Jeune fille à la fontaine »,  « Peureuse », sont là pour l’attester. Louis Caddau déclare au sujet de l’artiste tarbais : « Pas d’idées complexes, technique savante, modelé souple et solide à la fois, telles sont les caractéristiques du talent de Mathet, très apprécié des maîtres de la sculpture française dont il avait été le collaborateur et desquels, il avait reçu les témoignages les plus flatteurs, les dédicaces les plus sympathiques ». La reconnaissance est internationale. Il expose à l’Exposition Universelle de Saint-Louis en 1904, à l’Exposition Universelle de Liège en 1905, à l’Exposition franco-britannique de Londres, en 1908. Malgré la mort brutale de Rosalie Mathet, épuisée de fatigue, et la disparition de papiers personnels après le pillage de son atelier, il reste le témoignage écrit de la considération et de l’estime que portait le grand Rodin à Louis Dominique Mathet. Le maître signe ses billets : « A mon ami et collaborateur Mathet » et n’hésite pas à lui demander conseil à maintes reprises. Le Bigourdan était membre de la Société des Artistes Français. La ville de Tarbes a donné son nom à une rue du quartier Lupau, en 1934.

La « Vallée d’Aure » - Allégorie de Louis Mathet, fontaine des Quatre-Vallées, place Marcadieu, à Tarbes - cliché Claude Larronde

9 - Les Romantiques bigourdans : Edmond Desca

 

Le 16 novembre 1855, à Vic-en-Bigorre, naît Jean Suzanne Edmond Desca de Jean Adolphe Desca et Eulalie Latorte. C’est leur premier enfant. Trois autres fils suivront. Vieille famille vicquoise, les Desca sont marchands de père en fils. Le parfum des épices ne captive pas le jeune Edmond, ni l’enseignement dispensé à l’école communale et au collège. Le modelage de la terre glaise accapare davantage son attention. À 14 ans, on le met en apprentissage chez le maître Géruzet, à Bagnères-de-Bigorre. Cet atelier, où l’on apprend la taille du marbre, est le passage obligé pour tout artiste bigourdan en herbe et l’on y acquiert les connaissances techniques indispensables à tout sculpteur d’avenir. Le jeune Edmond est fasciné par le dessin et la structure des marbres veinés de Campan et de Sarrancolin. Cela l’incite à demander un enseignement artistique au vieux maître Journès. À toutes ses questions, le potier de génie, créateur aux doigts virevoltants inspirés de l’antique, lui répondra : « Fais ce que tu penses ! ». Edmond Desca suivra toujours ce conseil. Irrésistiblement attiré par la nature, il compose des motifs d’ornementation où les fleurs et les animaux prendront une place de choix. Il quitte l’atelier bagnérais et entre chez Menvielle, à Tarbes, puis chez Henri Nelli pour qui il sculpte les petites têtes de lions de la fontaine Montaut, alors placée au centre de la place Marcadieu. Voulant faire une carrière de sculpteur, il décide d’entrer à l’École des Beaux-Arts, à Paris. Il a 19 ans. Admis au mois de mars 1876, il lui faut néanmoins subsister et l’architecte qui restaure les façades du Louvre l’engage comme ouvrier ornementiste. Le soir, il travaille à la bibliothèque de l’école. L’ambition est là. En 1878, le sort lui est défavorable. Il refuse les démarches qui l’auraient maintenu dans la capitale. Envoyé à Dijon, il fréquente l’Ecole des Beaux-Arts, s’imprègne de l’Ecole bourguignonne et modèle quelques bustes. C’est visible, le génie de François Rude l’influence. 

Têtes de lions - Fontaine Montaut, à Tarbes

cliché Claude Larronde

 

10 - Les Romantiques bigourdans : Edmond Desca

 

Au hasard d’une permission à Paris, Desca rencontre Jouffroy de Dubois, directeur de l’École des Beaux-Arts, qui le persuade de revenir dans un régiment de la capitale. Mis en subsistance à la caserne de la rue de Babylone, il dispose de ses journées. Pendant trois ans, il s’imposera un travail acharné. Sa force herculéenne - n’a-t-il pas maîtrisé un jeune taureau devant des camarades éberlués, à Dijon - peut s’exalter. Dans un modeste atelier parisien - meublé d’un poêle et de meubles fabriqués par lui-même - qu’il occupe par la grâce d’une petite pension de 300 F concédée par le Conseil général des Hautes-Pyrénées, se forgent le caractère et le savoir faire d'Edmond Desca. Notre Bigourdan prend du plaisir à sculpter « Milon de Crotone », morceau d’école, et reçoit une mention honorable pour ses travaux d’atelier, en 1876. La mythologie n’est pas vraiment son choix. Son langage réaliste s’exerce sur « Chasseur d’aigle », homme robuste et nu cramponné à un tronc d’arbre posant le pied sur l’aile d’un aigle au bec menaçant renversé à terre. L’homme s’apprête à frapper l’oiseau d’une grosse pierre tenue dans sa main droite. D’aucuns virent dans cette facture allégorique une allusion politique. N’était-ce pas un chasseur écrasant sous ses pieds l’oiseau impérial, symbole de l’autorité foulée par l’homme libre ? L’artiste s’en défendit avec véhémence. Au Salon du Palais des Champs-Élysées de 1881, il obtient une médaille de 3e classe pour « la force et la conscience mises dans la recherche des combinaisons expressives du mouvement et du développement élégant des formes ». La ville de Paris commande le bronze et le place aux Buttes-Chaumont. Réconforté par son directeur, l’artiste écrit au Préfet des H.P pour demander une aide nouvelle. Le Conseil général lui accorde une subvention de 500 F, en 1880, et une autre identique, en 1881. Deux ans plus tard, naît « L’Ouragan », Borée des Thraces, personnification du vent du Nord, fils du Ciel et de la Terre, que l’on peut admirer au jardin Massey.

« L’Ouragan » d’Edmond Desca au jardin Massey, à Tarbes

cliché Claude Larronde