CANON A BALLES - GUERRE DE 1870-1871

Le canon de 4, modifié en 1858,

était en campagne depuis le Ier Empire. 

 

Le 2 août 1870, à Sarrebrück, le canon à balles reçoit son baptême du feu. La 9e batterie du capitaine Dupré (5e régiment, 2e division, 2e corps) a l'honneur du premier engagement. La première ligne de la division Bataille a refoulé les compagnies prussiennes, détachées sur la rive gauche de la Sarre, qui retraitent des ponts et de la gare en direction de Raschpfuhl et des bois, au nord de Malstatt. C'est à ce moment que les mitrailleuses "que l'on comptait peu avoir à employer" interviennent. Sur la demande du lieutenant-colonel de Maintenant, commandant l'artillerie de la 2e division, on rapproche la batterie de la première ligne, en plein champ de manœuvres, en enfilade du viaduc, près de Schleifmühle : "Son feu jeta un désordre complet au milieu des colonnes d'infanterie qui évacuaient la ville et qui eurent à souffrir de ce tir nouveau, dont le seul bruit a paru les impressionner vivement". Ce compte rendu enthousiaste va hausser la réputation, déjà élevée, de l'arme du commandant de Reffye. Le 4 août, le capitaine de Sermet annonce à l'inventeur que les officiers de la 9e batterie : "sont très satisfaits et croient avoir agi efficacement contre l'ennemi. Tel est, du reste, l'avis unanime de tous les officiers qui ont assisté à l'affaire. Ils sont plein de confiance. On a tiré en tout 68 boîtes à balles". Chaque batterie est composée de six mitrailleuses commandées par un officier, généralement un capitaine, un chef de pièces et de nombreux servants. 

 

Le 4 août, à la bataille de Wissembourg, les pièces de la 10e batterie du 9e régiment sont utilisées, par le général Douai, contre quatre batteries allemandes, à l'est de Gutleithof. Mais leur hausse est mal réglée et les balles passent trop haut. "Victime de sa renommée naissante et de la terreur qu'elle inspire", l'artillerie ennemie concentre sur l'arme nouvelle le feu de toutes ses pièces et, bientôt, elle est écrasée. Ce résultat est inévitable tant elles sont mal placées sur une crête où pas un de leurs mouvements n'échappe à l'ennemi.

 

Le 6 août, à Wœrth-Frœschwiller, l'emploi des canons à balles ne répond plus à leur concept d'utilisation. Sur un terrain parsemé de bois et de houblonnières, le tir aux grandes distances, pour lequel il sont voués, devient impossible. On place les mitrailleuses sur "une position plus dominante" mais des batteries bavaroises, placées à 3000 mètres, au nord-est de Langelsulzbach, les réduisent au silence. C'est alors que le maréchal de Mac-Mahon vient voir les effets du tir de la nouvelle arme qu'il ne connaît pas encore. Il estime qu'elle n'a pas suffisamment de portée pour lutter à cette distance, ordonne de la retirer et recommande de la remplacer par le canon de 4. Après ce retrait fort judicieux, les canons à balles sont placés en surveillance des pentes occupées par l'ennemi qui tente de se regrouper. Les efforts des Bavarois pour franchir la clairière qui sépare Langensulzbach de Frœschwiller resteront vains. Par leur bruit caractéristique, les salves des mitrailleuses terrorisent le personnel des pièces d'artillerie prussienne qui ripostent massivement par un feu concentrique. Rapidement, les batteries du canon à balles sont employées à tort et à travers. On ne se préoccupe plus de la position idéale à rechercher ; on les déplace sur le point du champ de bataille le plus attaqué. On tire à 50 pas, 200 mètres, 500 mètres, 800 mètres, 2000 mètres, mais là, comme le terrain n'est pas assez découvert, on se plaint de ne pas voir les résultats des tirs. Aussi, attend-on l'interruption prolongée de la mitraille, en face, indice certain de l'efficacité de ses propres coups ! 

 

L'ennemi apprend vite à positionner son artillerie, à 3000 mètres et, par un feu puissant, à réduire au silence les batteries françaises. À cette distance, les salves du canon à balles deviennent aléatoires et se dispersent sur l'azimut. Mac-Mahon pense qu'il faut réserver cette arme pour les temps de crise et économiser ses munitions. Dans les dernières phases de cette lutte héroïque, elle est employée pour protéger la retraite de l'armée d'Alsace, en se sacrifiant. Au soir de cette terrible journée, on peut dégager quelques enseignements sur les profondeurs de tir à respecter. Sur des distances comprises entre 1000 et 1800 mètres, la mitrailleuse peut rendre de bons services lorsqu'elle est pointée sur un débouché urbain, un défilé naturel, une lisière de bois, tout passage obligé de l'ennemi. Mais il faut la protéger par nos armes lourdes car elle devient rapidement la cible préférée de l'artillerie prussienne.

 

Le même 6 août, à Forbach, deux batteries sont engagées. Placées derrière les canons de 4, au début de l'attaque, elles sont engagées contre l'artillerie de la 14e division allemande. Prenant en enfilade la route de Sarrebrück, elles serviront de cible aux pièces allemandes. Trop vulnérables et placées trop bas, sous la domination du feu prussien, elles sont retirées prestement non sans avoir subi de lourdes pertes. Côté français, on parle de désastre. Côté allemand, on déplore deux échecs de l'infanterie prussienne : le 3e bataillon du 39e régiment et la 3e compagnie du 74e régiment sont accrochés par notre infanterie, sur la crête de Folster-Höhe, et surpris par des "mitrailleuses en batterie à la Vieille Brême". Ces unités s'enfuient en débandade. Il faut dire que la 11e batterie (15e régiment) du capitaine Lauret se trouve, alors, à une distance opérationnelle "idéale" de 1800 mètres. Les 9e et 12e compagnies prussiennes sont couchées sur le sol, par files entières, mais leurs batteries du Galgen-Berg viendront à bout des canons à balles les obligeant à se déplacer sur la crête qui domine la Douane et la Brême d'Or où ils déciment un groupe d'infanterie avant de plier sous la tourmente d'un feu ennemi trop nourri. À trois heures de l'après-midi, à l'attaque de Rother-Berg, le général von François est blessé par quatre balles de mitrailleuses tirées à 600 mètres par la 11e batterie. Plus tard, à la lisière du bois de Gifert-Wald, le lieutenant von Pöllnitz est tué par cinq balles de mitrailleuses. Les victoires éphémères du canon de Reffye seront, parfois, ignorées de l'État-major français. Il faudra attendre la publication des notices historiques prussiennes pour connaître le résultat des tirs des batteries à balles mentionnés dans la comptabilité des pertes allemandes.

 

Le 14 août, à Borny, neuf batteries à balles sont engagées. Le capitaine Mignot (5e batterie - 11e régiment - 2e corps) est l'un des rares officiers ayant pu se procurer une carte des environs de Metz. Aussi, l'efficacité de ses tirs est remarquée dans le parc et le ravin de Colombey et à la ferme de Sébastopol. Réglées progressivement de 1800 à 2200 mètres, les salves "fouilleront" le terrain avec un tel succès que le général Metman, commandant le 3e corps, les qualifie de "formidables". Comme les résultats ne peuvent être appréciés à l'œil nu, on attend la relation du Grand État-major allemand qui signale ce feu comme ayant contribué à l'insuccès de la Ve batterie prussienne du général Goltz. Plus tard, le capitaine Bernadac, avec sa 9e batterie (4e régiment - 3e corps), sera associé à ce jugement élogieux. Les commandants de batteries prennent l'habitude de parcourir le terrain, tous les matins, de repérer tous les points possibles de positionnement des canons à balles et de communiquer leurs observations aux chefs de pièces. Sur les hauteurs de Montoy - cote 233, à l'angle des routes de Sarrelouis et de Sarrebourg, la batterie du capitaine Bernadac est particulièrement redoutable pour les colonnes prussiennes "littéralement hachées" dans leur progression. Réglées à 1930 mètres, les bouches à feu "nettoyèrent" la crête de la présence ennemie par un feu à volonté particulièrement meurtrier. Condition idéale de feu ? Oui, sans doute, car, ce jour-là, il n'y a pas nécessité de procéder à des tirs d'approche progressifs. Le résultat est complet et les compagnies d'infanterie prussienne du 4e régiment du major Hoffbauer, placées à environ 1500 mètres, se dispersent prestement après chaque rafale. La consommation de la batterie - 244 coups - est jugée importante. La 12e batterie (15e régiment) Bottard obtient le même succès : "Le spectacle était terrifiant ; des rangs entiers tombaient ; les pelotons, l'un après l'autre, étaient littéralement fauchés. La distance pouvait être de 600 à 700 mètres environ". On se rend compte que l'action coordonnée des mitrailleuses de Reffye, placées en "surveillance", avec l'appui des batteries de canons de 4 chargées de "contrebattre les batteries ennemies qui pouvaient prendre d'écharpe les batteries à balles", ressemble à une conjoncture optimale. Mais de cette analyse naît une constatation évidente : les canons à balles sont employés comme batteries d'infanterie, soit l'inverse de ce que recommandent les règlements officiels de "L'Instruction". La tactique utilisée par les Allemands qui s'obstinent à focaliser leurs tirs sur les canons à balles a conduit à l'inversion de son utilisation. Le général Sylvain Laveaucoupet complimente le capitaine Lauret pour avoir répondu, avec tant de précision, aux batteries allemandes.

 

Le 16 août, à Rezonville, c'est une grande bataille où l'on a du mal à discerner les actions des mitrailleuses de Reffye. L'État-major français est peu disert sur leur rôle et c'est l'État-major allemand qui les cite, à plusieurs reprises : "Le feu terrible des canons, des mitrailleuses et des chassepots". Les hostilités commencent au sud et au nord de Saint-Mars-la-Tour. La 9e batterie Dupré se met en mouvement sur la crête de Vionville. On tire à 2800 mètres, puis à 2300 mètres sur les batteries allemandes et contre l'infanterie. Le 3e régiment d'artillerie allemand reconnaîtra les pertes nombreuses infligées au "IIIe Abteilung" par les mitrailleuses françaises. La batterie Dupré est inspectée par le général Bazaine qui manifeste sa satisfaction. Le général Frossard la met à la disposition du général Bourbaki. Au bois de Saint-Arnould et sur les pentes du ravin de Sainte-Catherine, la fortune des autres batteries engagées sera moins glorieuse. On tire beaucoup, jusqu'à 300 coups pour la 8e batterie (4e régiment) du capitaine Barbe et le colonel von Eberstein, qui débouche du bois de Saint-Arnould, paie de sa vie sa présence à la tête du 40e régiment d'infanterie allemand. C'est au capitaine de Sermet que l'on doit un avis d'expert sur l'emploi de la nouvelle arme : "Nous n'avons fait de mal sérieux que là, un moment, sur l'infanterie, à 1900 mètres, parce qu'on nous a fait tirer sur des batteries de gros calibre, derrière épaulement. Le tir progressif est certainement difficile à obtenir ; il faudrait des officiers ayant en mains leur batterie plus qu'ils ne l'ont, et que les mitrailleuses n'eussent pas pour voisines des batteries qui assourdissent par leur feu. Il faudrait aussi des hommes qui aient été plus exercés à la manœuvre. En résumé, moi qui ai bien vu toutes les affaires jusqu'ici, je puis vous affirmer que les canons à balles remplissent un grand rôle dans la guerre actuelle, et soutiennent vigoureusement l'armée, qui recule toujours parce qu'on manque de hardiesse et de direction".

 

Le même jour, la mitrailleuse de Meudon joue encore un rôle non négligeable à Mars-la-Tour où elle décime la 38e brigade d'infanterie prussienne. Le rapport officiel allemand déplore les pertes ou blessures de 72 officiers et 2542 hommes de troupe. Obligés de se retirer au fond de la vallée, les bataillons ennemis sont presque anéantis.

 

Le 18 août, à Saint-Privat, les batteries Barbe et de Saint-Germain ont la redoutable mission de neutraliser les batteries prussiennes du IXe corps, au nord-est de Vernéville. Les IIe et IIIe bataillons du 36e régiment d'infanterie allemand dirigés sur Chantrenne sont stoppés, pendant des heures, au bois de Génivaux. Le colonel de Brandestein, son commandant, est tué avec plusieurs soldats par un tir exécuté entre 1400 et 1800 mètres. Malgré une résistance admirable de nos forces, les tirs concentriques des batteries ennemies regroupées mettent nos pièces dans l'obligation de se déplacer non sans accuser des pertes sévères. Le bois de Cusse sert de havre providentiel aux fusiliers du 85e régiment d'infanterie allemand durement touchés par les batteries héroïques de Bottard, Guérin et de Saint-Germain. Devant la supériorité numérique de l'ennemi et la précision de son tir, il faut économiser les munitions et ralentir le feu sur l'ordre du maréchal Lebœuf. Une exception cependant : la belle résistance des mitrailleuses françaises contre l'artillerie allemande, à Gravelotte, commune de Moselle, du 16 au 18 août 1870.

 

Le 30 août, à Beaumont, cinq batteries du canon à balles sont engagées. Placées, côte à côte, à droite de la route de Beaumont à Mouzon, au nord du Moulin à Vent et le long de la route d'Osches, elles répondent au tir des batteries prussiennes qui protègent leurs bataillons déboulant entre Maison Blanche et la Petite-Forêt. Vingt-cinq batteries allemandes ripostent par un feu nourri sur les batteries Arnould et Gastine très sollicitées. Au bois Givodeau, le IIIe bataillon, du 86e régiment allemand, impose son artillerie qui neutralise la Harnoterie. Le capitaine Deckmann, qui commande la IIIe batterie de mitrailleuses Zimmer, a bien compris les manœuvres de déplacement des pièces françaises. Il oriente le pointage de ses pièces sur les mitrailleuses de Reffye, à environ 2200 pas. Les batteries des capitaines Bès de Berc et Gastine opposent une dernière résistance, près du faubourg de Mouzon. Les sources françaises sont peu loquaces. Il faudra attendre les bulletins allemands pour préciser les faits d'armes des canons à balles et leurs conséquences. Le 31 août, ils jouent un rôle d'appui en faveur de l'armée du Rhin, au siège de Metz et, le 1er septembre, le général Vinoy utilise les mitrailleuses comme soutien d'un bataillon d'infanterie, en batterie mixte : trois canons à balles et trois pièces de 4, ce qui est contraire à toute instruction. Il faut dire que le commandement est "déboussolé" et prêt à toutes les expériences. 

 

Sedan, treize batteries françaises sont opérationnelles. Quelques-unes sont placées en enfilade de la rive gauche de la Givonne. Les résultats sont hypothétiques car les historiques allemands n'en disent rien. L'infanterie saxonne et bavaroise est tenue en échec par nos canons à balles dans sa tentative de s'élever sur les pentes, par l'ouest. La 8e batterie (9e régiment) du capitaine de Mornac refuse l'engagement avec la Ie batterie de la Garde ennemie pour réserver ses salves au IIe bataillon du régiment des Fusiliers de la Garde. Prise en écharpe sur la crête de Daigny, elle évite avec habileté une lutte d'artillerie qui tournerait à son désavantage. Après un mois d'opérations, la nouvelle arme est mise en œuvre plus conformément à "L'Instruction" pour ce qui concerne la distance. On prend la précaution de mieux l'abriter par des épaulements en terre car on la sait vulnérable à l'artillerie ennemie qui regroupe ses tirs dès qu'elle est repérée. Une batterie étant composée de six mitrailleuses, on les espace davantage afin que les salves adverses se perdent dans les intervalles. On lui accorde une grande confiance. À telle enseigne que le lieutenant-colonel Clouzet, qui n'est pas le commandant de la batterie Navlet, la dirige toute une journée jusqu'à ce qu'il soit mortellement blessé, sur place, par des colonnes prussiennes débouchant de Saint-Menges. Le général Liégeard exécute un tir, à hausse fixe, sur l'infanterie adverse, placée sur la rive gauche de la Meuse, et déclare que : "l'effet en a été saisissant".